douzième séance.
Le Tribunal se réunit à 10 heures, tous les Arbitres étant présents.
M. le Président. Le parole est à Monsieur le conseil des Etats-Unis mexicains, M. Beernaert.
M. Beernaert. Messieurs, j’ai eu l’honneur de prévenir la Cour que ma plaidoirie completera celle de M. Delacroix, et qu’elle sera elle-même complétée par une note rédigee par Son Excellence M. Pardo, l’agent special des Etats-Unis mexicains; il devrait etêre donnt lecture de cette note pour qu’elle fasse partie de la plaidoirie, mais comme elle est à l’impression, peut-etre la Cour trouvera-t-elle cette lecture inutile, la note devant être distribute aux membres de la Cour et aux conseils de la partie adverse; la Cour y gagnera ainsi quelques heures de son temps precieux.
M. le President. Le Tribunal prendra acte de cette declaration. Je suppose que la note sera communiquée à la partie adverse?
M. Beernaert. Je viens de le dire, Monsieur le President, je puis affirmer qu’elle pourra être distribute aujourd’hui.
M. Ralston. I suppose we shall have an opportunity to examine it.
M. le President. La parole est au conseil des Etats-Unis mexicains, M. Beernaert.
plaidoirie de m. beernaert.
Messieurs de la Cour, de nombreuses questions de fait et de droit viennent d’etre agitees devant vous, et vous voici en possession de tous les elements du debat assurement grave et complique auquel donné lieu de Fonds Pie de Californie. Or, il se trouverait que c’était la un travail inutile! Naguere, devant la Commission mixte le procès n’a pas ett plaidt, il n’y à eu que des echanges de notes; sans ces explications contradictoires qui eclairent toujours si utilement un differend judiciaire. La sentence du tiers-arbitre—il doit être permis de le dire—ne donné que de mtdiocres clartés, mais le debat actuel serait d’avance juge pour toujours; tout serait dit, et votre tache se bornerait à constater que vous n’avez rien à juger!
Sans doute, dit-on, l’Eglise catholique de Haute Californie n’a aucun droit sur le Fonds Pieux en lui-même, et ses evéques ne peuvent pretendre à aucune part de la propriety des biens qui le dotaient ou de la créance qui les à remplaces. On declare que le proprietaire, c’est l’Etat mexicain. Mais cette propriety serait une charge et non un avantage. L’Etat mexicain se trouverait condamne à demeurer proprietaire, mais sans avoir rien si retirer de ce Fonds il aurait à payer à perpetuite à pet. d’intérêts sur le capital qui le representerait. Et cette obligation perpetuelle, indefinie, sans terme possible, il aurait à lacquitter dans des conditions vraiment ruineuses et qui donneraient à la situation un caractere presque usuraire: il aurait à payer en or!
En bien, messieurs, sur tous ces points, il y aurait chose jugée, et tel est le moyen que l’on nous oppose en ordre principal.
J’estime, messieurs, que cette exception de cnose jugée n’est nullement fondee, et j’appuie mon opinion sur trois moyens differents: Le premier, c’est que la demande actuelle n’a pas été jugée; et elle ne l’a pas ttt pour cette bonne raison qu’elle ne s’était pas produite, or jamais ‘autorite de la chose jugte ne peut depasser les limites du dictum [Page 713] d’une sentence, et ce dictum lui-même ne peut sous peine d’annulation ou même de nullitt, exceder les termes de la demande dont le juge est saisi. En second lieu, je dis qu’il n’y à pas chose jugée parce que l’objet de la demande d’hier était different de l’objet de la demande d’aujourd’hui. Enfin, je dis qu’entre la demande d’hier et la demande actuelle il ne peut y avoir identite de cause, puisque l’on alleguedes droits successifs venant à echeance chaque annee, partant des lesions de droit differentes, et que dans ces conditions la cause ne peut pas être la mSme, les faits et le droit etant sujets à d’iricessantes, à d’inevitables fluctuations.
C’est, messieurs, la triple demonstration que je veux entreprendre de vous faire.
Mais, avant d’en aborder les Elements, je demande à vous rappeler en quelques mots les circonstances dans lesquelles le premier procès s’est engagé, et celles ou à surgi la seconde demande, car à mon sens elles s’accordent bien peu avec le caractere perpetuel et prétendument indiscutable que l’on voudrait attribuer au droit que l’on reclame.
Vous savez, messieurs, que les Etats-Unis se sont empares de la Haute Californie en 1846, et que cette annexion à été consacree le 2 Fevrier, 1848. Il n’y avait à cette epoque qu’un seul éveche pour les deux Californies, et par suite du traite de Guadalupe Hidalgo, cet eveche se trouva à cheval sur les deux territoires, le diocese s’etendant à une partie du territoire mexicain et à une partie du territoire devenu américain. Le siege episcopal était etabli à Monterey, c’est-à-dire dans la Haute Californie devenue américaine.
Mais precisement l’éveque Don Diego vint à mourir le 30 avril, 1846, au moment ou ces choses se passaient. Il parait—je dis qu’il parait, parce que je n’ai pas trouve au dossier de documents à cet egard—il parait que le siege episcopal de Monterey fut alors occupe par un vicaire apostolique à titre d’interim.
C’est en 1852 que cet unique diocese fut fractionnt. Il y eut desormais un eveche mexicain pour la Basse Californie, et l’on etablit pour la Californie devenue américaine, deux dioceses, l’un archiepiscopal à San Francisco, et l’autre episcopal à Monterey. Cette nouvelle institution fut regularisee comme elle devait l’étre par un bref pontifical en date du 29 juillet 1853; il se trouve au livre rouge publie par les soins de nos très honorables contradicteurs.
La Cour sait que plus tard—en 1868—il y eut un nouveau fractionnement, et qu’alors on detacha du diocese de Monterey certains territoires pour en faire le diocese de Grass Valley.
S’il faut admettre la these des demandeurs, en 1848 des droits indiscutables se seraient ouverts en faveur des nouveaux dioceses catholiques de la Haute Californie; il y avait la une indivision qu’il était urgent de regler; cette necessite devait apparaitre plus vivement le jour ou l’Eglise américaine se trouva regularisee.
Or, il est certains que ni le vicaire apostolique qui à fait l’interim du siege episcopal, ni Monseigneur Alemany dont on connait cepen-. dant le zele, ne souleverent de reclamation d’aucun genre avant 1859. Ainsi, on aurait laisse passer plus de dix annees sans faire valoir un droit que l’on represente comme evident!
Monseigneur Alemany à dit dans un affidavit publie au livre rouge qu’il s’était rendu à Mexico en 1852 et qu’il avait fait alors à ce sujet quelque reclamation. M. Thornton dans sa sentence dit qu’à raison de la qualite du personnage dont cette affirmation emane il n’y à pas [Page 714] lieu de douter de son exactitude, mais en ajoutant qu’il n’y à point trace de la demarche alleguee. Ce langage, nous le reprendrons pour nous-mêmes; mais comment tenir quelque compte d’une communication verbale dont il ne reste aucune trace ecrite et dont on ne peut indiquer exactement l’objet?
Ni dans les archives episcopates ni dans celles du Gouvernement mexicain, il ne reste aucun document se rapportant aux rapports qui se seraient etablis à cette epoque. Et la meilleure preuve qu’il n’y à pas d’importance à y attacher c’est qu’il n’y est même pas fait allusion dans le travail, d’ailleursremarquable, que M. Doyle à fait à l’appui de la reclamation des evfeques en 1859, M. Doyle que j’ai le regret de ne pas voir ici, à raison de son grand age je pense, et à qui je prie sonfils de transmettre mon salut de l’autre cete de l’Atlantique.
J’oubliais d’ajouter cette autre consideration qu’en 1852 Monseigneur Alemany n’aurait eu aucune qualite pour revendiquer un droit au nom d’un diocese américain, puisqu’a cette époque il n’y à aucune trace que cette Eglise nouvelle se fut fait incorporer et eut par consequent l’existence officielle qui d’apres la legislation américaine lui permet de posseder et de recevoir. La declaration des eveques et leur incorporation avec les droits qui en resultent, ne datent que de 1854—ce document se trouve au livre rouge—et on comprend qu’on ait attendu pour ce faire que l’Eglise américaine fut regularisee, par sa separation de Peveche mexicain; jusque-la l’incorporation eutamene je ne sais quelle existence hybride qui aurait prete k des difficultes; sans doute on aura voulu y echapper.
Donc, messieurs, aucune reclamation de 1846—1848 jusqu’a 1854, et l’Eglise reconstitute n’y songe pas davantage avant 1859!
Chose assurement etrange, elle attend, pour faire valoir le droit qu’elle s’attribue, que prtcisement la legislation mexicaine eut acheve de Pen priver en effet et qu’une loi du 5 février 1857, reprenant les dispositions le la loi espagnole dont argumentait hier M. Delacroix, nationalisa, confisquat si on veut, tous les biens d’Eglise. Il fallut, semble-t-il, que ce fait grave intervint, pour que les eveques se souvinssent que depuis dix ans ils étaient fondes à reclamer une part considérable du Fonds Pieux de Californie.
La premiere reclamation est du 20 juin 1859, et, chose curieuse, à qui Padresse-t-on? Est-ce au Mexiqué Lui reclame-t-on ce reglement comme allant de soi? S’excuse-t-on de ne pas y avoir songe plus tot? Pas le moins du monde: c’est au Gouvernement des Etats-Unis que Pon s’adresse, par un memoire très remarquable de M. Doyle; mais ce Gouvernement parut n’y attacher aucune attention, au moins n’y donna-t-il point suite.
La Cour sait que dans ce procès nous sommes dans une situation vraiment difficile; le dossier est loin d’etre complet, et nous n’avons guere que les pièces soumises naguère à la Commission mixte” et qui ont été imprimees à Washington comme dossier commun; nous en avons reclame avec instance à Mexico, mais la Cour sait que d’ici la il faut un long temps pour écrire et pour obtenir reponse; notre dossier n’est done pas ce que je voudrais qu’il fut. Mais toujours est-il que, le livre rouge à la main, nous pouvons affirmer que la lettre du 20 juin 1859, premiere expression de la reclamation tpiscopale, ne fut suivie ni d’une reclamation au Gouvernement mexican ni d’une reponse du Gouvernement des Etats-Unis aux eveques, ni même d’un simple accust de reception.
[Page 715]Ce qui parait plus Strange encore, c’est que Nos Seigneurs les eveques laisserent passer dix annees sans s’etonner de ce silence et sans même adresser au Gouvernement des Etats-Unis une lettre de rappel.
Mais alors la situation change. La Cour sait que de nombreux griefs prives étaient survenus depuis la separation de la Californie du territoire mexicain; des citoyens des Etats-Unis disaient avoir des reclamations à faire à charge du Mexique et vice versa. L’on convint d’instituer une commission mixte et on lui donna des pouvoirs quasi-arbitraux.
Il importe, messieurs, de constater et je n’ai pas besoin d’y insister, que les pouvoirs de cette commission mixte ne visaient que des conflits entre citoyens de l’un des deux Gouvernements, mais qu’à aucun point de vue et à aucun titre la commission mixte ne pouvait avoir à statuer sur une difficulty quelconque, sur un differend quelconque entre les deux Etats. Ce n’est pas sous cette forme qu’aurait pu se vider un differend international.
Done, institution d’une commission mixte pour statuer sur les differends des citoyens américains et les Etats-Unis et des citoyens américains et le Mexique.
Les eveques se decident à suivre la voie ainsi ouverte et à saisir la commission mixte de leurs pretentions, en recourant encore cette fois aux bons offices de M. Doyle, qui redige pour eux un memoire ou il rappelle la lettre de 1859; et cette fois il reclame au nom des trois eveques interesses; l’eveque de Grass Valley prend place à cote de l’archeveque de San Francisco et de l’eveque de Monterey.
Mais cette fois encore la reclamation n’est pas adressee au Gouvernement mexicain. à cette ejjoque-la—en 1870—il n’est encore saisi de rien, M. Doyle s’adresse à M. Hamilton Fish, secretaire d’Etat des Etats-Unis, et celui-ci saisit par un simple renvoi la commission mixte de cet objet comme des autres differends pendants.
Ainsi de 1846–1848 jusqu’en 1870, c’est-à-dire pendant 22 ou 23 ans, rien n’est demande au Mexique, et il y à eu une seule reclamation dont on ne lui à pas même donné connaissance: la lettre de 1859 adressee aux Etats-Unis. Assurement ces faits, même au point de vue de la these que je plaide en ce moment, ne sont pas sans importance. Mais quant à la chose jugée ce qui suivit est peut-etre plus interessant encore.
La sentence de Sir Thornton est du 29 novembre 1875. Elle à porte sur la seule chose qui eut été demandee; rien du principal du fonds ou de la créance qui aurait pris la place de la valeur originaire; pas un mot dans la decision d’un droit perpetuel, d’une rente perpetuelle, d’une obligation perpetuelle de la part du Mexique envers les eveques américains. La condamnation ne porte que sur ce qui était demande, c’esta-dire sur 21 annuites partant de 1848 jusqu’a 1870.
Je fais remarquer en passant, messieurs, que Pallocation faite en vertu de cette premiere sentence partait du jour même de la separation des deux territoires, et reconnaissait ainsi à l’Eglise américaine un droit qu’elle ne pouvait faire valoir aussi longtemps qu’elle n’était pas incorporee; jusque-la cependant elle était sans existence et ne pouvait être admise à faire valoir aucun droit. Observation que je ne fais d’ailleurs qu’en passant, car le Mexique s’est execute et ne reclame point.
Si la sentence alloue des intérêts depuis 1848, elle s’arrete à 1870, et Voilà assurement quelque’chose d’assez etonnant puisqu’elle est de 1875: cinq annees s’etaient passees depuis la demande, cinq nouveaux “droits [Page 716] annuels” s’étaient ouverts, quoi de plus simple que de les faire valoir en demandant aux juges d’y statuer en même temps que sur le reste? Eh bien, non, on ne le fait pas, et je vous dirai pourquoi. Pas même, à ce sujet, la moindre reserve.
Aussitôt apres la sentence, le Gouvernement mexicain reçut une lettre de son avocat, M. Avila. Celui declare (V. Correspondance diplomatique aux pages 77 et 78):
Que quoique Tarred final se rapporte seulement à des intents accumuies, à une Epoque fixée, la reclamation doit être tenue comme regiee in toto, et que par consequent toute nouvelle reclamation par rapport au capital du Fonds ou à des intérêts ulterieurs echus ou à echoir, serait à jamais inadmissible.
L’avis était categorique, et il emanait de l’avocat du Gouvernement mexicain, qui avait dirige le procès. Il semble que M. Avila se soit notamment inspire de la vieille theorie romaine mieux connue encore en Espagne et au Mexique, d’apres laquelle jamais un droit ne pouvait donner qu’une action. Ce n’est pas à vous, messieurs, que je rappellerai l’ancienne formule romaine accordee par le preteur et cette règle invariablement suivie qui ne permettait pas une seconde action fondee sur une mSme base.
Done, M. Avila dit à son gouvernement, lui qui vient de plaider l’affaire, que tout au moins c’est une chose finie, qu’on n’y reviendra pasj et que les 21 annees d’intérêts payees, tout sera dit.
Le gouvernement du Mexique transmet — des le lendemain je pense — cette lettre aux Etats-Unis en s’en appropriant les termes.
Que va-t-il arriver? Si le Gouvernement des Etats-Unis est d’avis qu’il y à au contraire une decision de principe, d’un effet permanent, il va assurement trouver cette lettre presque impertinente: Comment! vous pretendez que tout est regie! que la decision relative à 21 annees d’intérêts est une solution in toto! par exemple I mais c’est le principe qui est decidt; c’est un droit perpetuel qui est reconnu! Et à vous, Messieurs du Mexique, qui venez dire que vous n’aurez jamais plus rien à payer, je vous rappelle qu’à cote des 21 annees allouees il y en à cinq qui sont dues encore, et par consequent je vous prie de vous liberer immediatement.
Voilà la reponse à laquelle il fallait s’attendre si la conviction des Etats-Unis ttait ce que l’on dit aujourd’hui. Eh bien, messieurs, ce n’est pas du tout cela: le Secretaire d’Etat (sa lettre se trouve egalement au livre rouge, page 79) declare qu’il ne veut pas s’expliquer; il ne le peut pas; il s’agit, dit-il, d’une decision de justice, elle est ce qu’elle est, on n’y peut rien changer. Seulement, s’il ne dit rien, il ne veut pas qu’on prenne ce defaut de reponse comme un acquiescement— et je n’ai garde de le soutenir.
A cette lettre qui ne dit rien, mais qui surement n’allegue aucun droit perpetuel et ne reclame pas même quant aux intérêts echus depuis 1870, M. Mariscal se borna à repondre (page 60) “que ni M. Avila ni lui ne songent à rouvrir une question close et à mettre en doute le caractere definitif et concluant de l’arret intervenu”— nouvelle affirmation de la même pensee.
La correspondance en resta la.
Et ce qui est assurement inttressant, c’est qu’ensuite les Etats-Unis ne reclament plus. Ce qui est plus extraordinaire encore, c’est que les eveques, qui viennent de gagner leur procès et à qui cinq annees seraient des lors dues, n’en demandent pas le paiement; et cette [Page 717] indifférence des évêques, ce silence dure depuis 1875 jusqu’en 1891. lis attendent qu’il y ait de nouveau 21 anntes d’intérêts echus comme la premiere fois—1870 à 1891.
Ainsi, messieurs, tandis que le Mexique dit que pour lui le debat est clos, qu’il y à jugement in toto, les eveques ne disent rien, ils ne reclament qu’apres 21 annees accumulees, 16 annees apres la premiere sentence. La lettre du M. Ryan qui rouvre le debat porte la date du 17 aout 1891.
Puis, six annees se passent et c’est sous la date du ler septembre 1897 que le Secretaire d’Etat, M. Clayton, appelle de nouveau l’attention du Mexique sur la reclamation des eveques.
La Cour sait que cette correspondance à abouti à la convention d’arbitrage ensuite de laquelle nous avons le très grand honneur de plaider en ce moment devant elle.
Il faut reconnaitre, messieurs, que dans les circonstances que je viens de rappeler, l’allegation de la chose jugée d’un droit indiscutable auquel il n’y avait rien à objecter est bien un peu surprenante. Que de temps on aurait mis à s’apercevoir de ce droit et à en vouloir tirer fruit!
Mais c’est la question en elle-même que j’ai à examiner.
Nos honorables contradicteurs ont depense beaucoup de temps et beaucoup de talent pour etablir des principes que nous ne songeons nullement à contester. Et tout d’abord la legitimitt de cette fiction qui eleve la chose jugée à la dignite d’une veritt. Elle existe, dit-on, dans toutes les legislations, elle est necessaire.
Je le reconnais volontiers: il ne faut pas que l’on puisse remettre en question ce qui à été juge, et je sais que déjà Ciceron plaidant pour Scylla disait que cette fiction était le plus ferme soutien de la Republique.
Mais, si c’est une fiction ntcessaire, ce n’est qu’une fiction. Toute oeuvre humaine est sujette à l’erreur et notre pauvre raison n’a helas! rien de commun avec l’absolu.
On voit la justice modifier incessamment l’interprttation de la loi: c’est ce qu’on appelle les variations de la jurisprudence. On voit les mêmes faits, les mêmes circonstances, etablis apprecies ou interpretes de la fa$on la plus differente, le même contrat donner lieu à des procès successifs et lu à des aspects tout opposes.
Souvent done le juge se trompe, mais la verite de la chose jugée n’en est pas moins, et je leproclame avec vous, une fiction necessaire.
Seulement, quel est le veritable caractere de cette notion? Quelle en est la portee? A-t-on eu cette pretention impossible que l’oeuvre de la justice put apparaitre une, sans tache, sans faiblesse, sans contradictions? Du tout! C’eut tte une entreprise impossible.
Non seulement les juges, mais le même juge peut varier du tout au tout dans l’appreciation des mêmes faits ou d’une même question de droit. Les tribunaux n’ont et ne peuvent avoir à cet egard qu’un seul guide, c’est leur conscience.
Mais ce qui n’est pas admissible, c’est que les mêmes querelles soient recommencees: la paix publique ne le permet pas.
Qu’est-ce done que la chose jugée? Verite tout ce que le juge à dit? Non, rien que ce qu’il à ordonne. La chose jugée reside seulement et exclusivement dans le dictum de la sentence, car c’est la qu’il parle comme juge.
Et encore dans ces limites il ne s’agit que d’une verite relative; ce [Page 718] qui est juge n’est vrai que s’il s’agit de la même demande—eadem questio—si elle est basee sur la même cause et agitte entre les mêmes parties agissant en la même qualite.
Et c’est parce que tel est le caractere de notre fiction que les auteurs s’aecordent à dire qu’il n’y à chose jugée ni quant aux constatations de fait ni quant au droit. Elle ne consiste que dans l’application emprique du droit à un fait determine à l’egard des parties en cause; une question de relation pas autre chose.
C’est, messieurs, ce que dit, et en fort bons termes, un auteur qu’on à cite et sur I’autorite duquel j’aurai à revenir, Griolet, dans sa Dissertation sur I’autorite de la chose jugée, notamment aux pages 7 et 9.
Autre consequence grave et profondement juridique de ces prémisses: Le juge ne cree pas le droit et il ne l’eteint pas; Je droit est dans la spere de l’absolu, nous ne l’atteignons guere, mais l’absolu existe et il n’appartient pas à l’homme d’y toucher.
Le droit est done au-dessus des decisions de l’homme, il est ce qu’il est, et Ferreur du juge n’y peut rien changer.
Mais par sa decision le juge eieve une presomption qu’il est impossible de surmonter; du moment ou il à juge, il n’est plus permis de dire que le droit est autre que ce qui à été juge. C’est si peu une chose ibsolue qu’il n’st pas permis au juge de suppleer Pexception de chose jugée; si les parties ne l’invoquent pas le juge n’a pas le droit de la faire; il à beau trouver au dossier la preuve que ce qu’on lui demande à été juge et dans les conditions requises pour etablir la chose jugée, il n’en peut tenir compte si on ne le lui demande point. Pourquoi? Precisement parce que ce n’est qu’une presomption d’une valeur relative et exclusivement reservee à l’ayant-droit. Si celui-ci à quelque trouble de conscience, s’il estime que la chose jugée en sa faveur à été mai jugée, il peut ne pas s’en pr6valoir dans une autre instance; le juge n’y peut point contredire (Griolet).
Et allant plus loin encore, l’un des geants de l’ancien droit franpais, Cujas, disait que la chose jugée n’eteint pas même l’obligation naturelle; expression energique de cette idee qu’il n’y à rien ici qui touche au droit en lui-même, mais seulement une presomption qui permet à celui qui à obtenu j ugement d’empecher qu’on ne remette son droit en question.
Il peut arriver, il arrive que dans un même procès, à propos d’une même question, il y ait tout à la fois presomption absolue de verite pour le blanc et le noir, et un exemple n’est pas bien difficile à trouver. Nous poursuivons à deux le même droit, une succession, une revendication de propriete; le premier juge nous econduit, il declare notre reclamation non fondee: c’est le noir. Plus timide, l’un de nous s’abstient d’appeler, l’autre saisit le juge du degre superieur de la même question et celui-ci reformer c’est le blanc. Et la même presomption d’absolue verite couvre ces deux decisions qui se contredisent.
Tout ceci, messieurs, n’etablit-il pas la verite de ce que j’aifirmais: qu’il s’agit ici d’une fiction necessaire mais qu’il faut ramener à ses véritables termes, et que comme le dit Griollet (page 68) il faut interpreter restrietivement comme toute exception?
Mais, revenons-en à ce qui est la chose jugée. La definition que j’en donnais tout à l’heure est empruntee à Particle 1351 du Code Napoleon, mais je erois qu’elle peut être consider comme de droit universel.
Le texte de Particle 1351 est à peu pres textuellement emprunte à Pune des sommites de la jurisprudence universelle, à Pothier, qui luimêne [Page 719] avec les grands juristes des 16e, 17e et 18e siecles, Pavait dtduit du droit romain.
Je parlerai peu du droit romain, messieurs, parce qu’en cette matiere il prete peut-etre à quelque confusion; à la notion de la chose jugée vient se meler cette autre règle qu’un même droit ne peut donner qu’une action et que cette action une f ois mise en mouvement s’eteint par sa consommation.
Tenons-nous en done plutot à l’article 1351 du Code Civil.
La verite judiciaire ne s’applique qu’à ce qui à été juge, et, partant, à ce qui à été demande, car le juge ne peut jamais exceder la demande, elle ne porte que sur le dictum de la sentence et elle n’existe que dans les conditions que j’indiquais tout à l’heure. Il faut qu’il y ait eu identity de demande, identite de decision, identite d’objet et de cause, identite de parties, identite des qualites dans lesquelles ces parties agissaient.
Or, d’apres nous il y à trois elements de la chose jugée qui font ici defaut: La question d’aujourd’hui n’a pas été jugée; elle n’aurait pu l’etre puisque la demande est nouvelle, l’objet de la demande est different, enfin les deux demandes se fondant sur des causes successives ne peuvent avoir qu’une apparence d’identite.
Tels sont les points que je vais examiner.
D’apres nos adversaires, la chose jugée rtsulterait non pas du dispositif de la sentence Thornton, qui ne porte que sur 21 annees d’intérêts, mais de ses motifs; ils établiraient implicitement un droit permanent; et il y aurait eu chose jugée implicite pour l’avenir, même en l’absence de toute demande.
Il y a, messieurs, urie remarque que je pourrais me dispenser de faire devant vous qui avez une si grande experience des choses et du droit universel: c’est la difference de forme qui existe generalement entre les jugements du continent europeen et d’une partie de l’Amerique, et une partie de ceux qui emanent des tribunaux américains ou anglais. Chez nous—je parle avec l’extension que je viens d’indiquer— ily à et il doit y avoir division entre les motifs et le dispositif, elle est prescrite, elle est necessaire. En Angleterre et en Amerique, le juge à a cet egard plus de liberte, et il arrive que motifs et dispositif sont emmeles dans une redaction unique.
Mais ici, comme l’a plaide hier M. Delacroix, nous avons à tenir compte de la forme des jugements continentaux parce que c’est celle usitee au Mexique et que c’est la legislation mexicaine qu’il faut appliquer.
Or, il y à un point qui ne peut faire doute, c’est que en France, en Belgique, en Hollande, en Espagne, au Mexique, les motifs n’ont pas force de chose jugée. Comme je le disais tout à l’heure, les motifs disent quelle est la constatation de fait, quelle est l’appreciation du fait, quel est le theme de droit qui dicte la sentence; mais ce n’est pas la sentence, ce n’est pas le dictum du juge: e’en est la raison, l’explication, rien de plus. Or la verite juridique couvre non ce que dit le juge, mais ce qu’il ordonne, quand ilpersonnifie ainsi la puissance publique et que sa parole en est l’expression.
Ce que je dis 1à, messieurs, c’est en droit Franpais ou Beige l’enseignement de torn les auteurs.
Dalloz (V° jugements, 324, 958, etc.) dit:
Le dispositif constitue le jugement proprement dit.
C’est le dispositif qui constitue seul le judgement.
M. Larombière—la Cour sait quelle était la très haute autorite de cet ancien Premier President de la Cour de Cassation de France— s’exprime ainsi:
M. Descamps. Quel passage?
M. Beernaert. Sur Particle 1351, N°. 18:
La chose jugée reside exclusivement dans le dispositif du jugement, et non dans ses motifs.
Le Pandectes Beiges . . ., la Cour sait peut-etre que c’est une compilation fort importante déjà arrivee à son 70e volume et qui merite assurement beaucoup d’attention . s’expriment de même (V° Chose jugée, N°. 120 et suivants).
L’un de nos jurisconsultes les plus remarquables, M. Arntz,prof esseur à PUniversite de Bruxelles, ditau Tome 3 de son Droit Civil, page 404:
La chose jugée resulte seulement du dispositif du jugement, non de ses motifs, quelle que puisse être Yopinion qui s’y trouve enonc£e sur le point en contestation.
Laurent (N°. 29, Tome 20) est encore plus énergique:
Il est de principe que le dispositif seul des jugements à autorite de chose jugée [il ne discute pas, il affirme]. Les motifs donnes par le juge ne decident rien, il n’en peut done resulter de chose jugée. Cela est fondé en raison; la presomption de verite est attachee aux jugements arm de mettre fin aux procès et pour eviter qu’un second jugement contredise le premier. La chose jugée implique done l’existence d’une decision judiciaire. Peu importe que les motifs expriment une opinion relative à un point contests; si le dispositif ne consacre pas ce-t-te opinion en admettant ou en rejetant l’opinion enonc£e dans les considerants, il n’y à pas de chose jugée. Un arret reconnait dans ses motifs que le terrain litigieux est vague et que la commune demanderesse en doit être reputee proprietaire, mais le dispositif ne prononce rien à cet egard; il se borne à ordonner une expertise et en reservant le droit; la commune pretend qu’il y à chose jugée sur la nature du terrain et sur la question de propriete, en se fondant sur les motifs de l’arret. La Cour de Cassation de France à decide que la chose jugée doit s’induire du dispositif, et non des motifs.
Et Pauteur continue.
Un autre jurisconsulte, peut-Stre l’un des plus remarquables qui aient ecrit sur le droit civil frangais, Zacharie, prof esseur à PUniversite d’Heidelberg, est plus energique encore; voici ce que je lis au Tome 3 de son livre, paragraphe 769:
La chose jugée ne resulte pas des motifs, mais seulement du dispositif des jugements; aussi, bien que les motifs expriment relativement à un point quelconque des contestations une opinion explicite et formelle, il n’y à chose jugée sur ce point qu’autant qu’une disposition du jugement en à prononce l’admission ou le rejet.
Le dispositif d’un jugement (etceci est remarquable, messieurs) n’a I’autorite dela chose jugée que relativement au point qui s’ y trouve decide. C’est ainsi par exemple qu’un jugement qui sur la demande d’un creancier condamne le debiteur aux intérêts des intérêts déjà echus d’un capital dont le montant y est enonce, n’a pas l’effet de dela chose jugée quant à la quotite de ce capital (c’est presque notre question). C’est ainsi encore qu’un jugement qui accorde des aliments au demandeur (c’est l’hypothese signage par Laurent dans un passage discute par M. Ralston) en qualite de pére ou d’enfant du defendeur, n’a pas I’autorite de la chose jugée quant à la question de fraternite ou de filiation, lorsque cette question n’ayant pas fait l’objet de conclusions respectivement nrises par les parties, n’a pas été posee et decidee par une disposition speciale et explicite du jugement.
M. Descamps. C’est clair!
M. Beeknaert. Ce passage vous parait clair?
M. Descamps. Mais oui!
M. Beernaert. Eh bien! j’en suis enchante, car il me parait decisifl Montrez-nous done, je vous prie, cette demande à un droit perpetuel que vous pretendez avoir été jugée! Montrez-nous done, au moins dans ie dernier etat de la cause, les conclusions ou le memoire ou vous [Page 721] auriez réclamé des intérêts non pour 21 années mais pour toujours! Ou dites-nous comment il aurait été possible au juge de statuer sur une demande qui n’était point faite!
Messieurs, puisque nos honorables contradicteurs paraissent d’accord avec ce que je viens de dire, je puis me dispenser d’accumuler les autorites.
Que la chose jugée n’est attribuée qu’aux motifs, cela est de jurisprudence constante et en France et en Belgique. J’ai la une longue série d’arrets, mais je fatiguerais la Cour en la lisant; elle me permettra sans doute de lui remettre à cet égard quelques indications.a
Et le même principe est admis en Espagne et au Mexique. C’est ce que nous aurions voulu demontrer par le recueil de M. Pantoja auquel renvoie le memoire de M. Azpiroz devant la Commission mixte; il nous est expédié, mais je crains qu’il ne nous arrive trop tard, et quant à l’exemplaire que nous adversaires, plus heureux que nous, possèdent, parait-il, il semble que la pagination n’y soit pas concordante . . .
M. Ralston. Il est à votre disposition.
M. Beernaert. Merci.
La même règle se trouve encore consacrée par une decision formelle de “Allgemeine Gesichtsordnung “d’Allemagne, que voici:
Les collèges de juges et les rédacteurs des jugements doivent distinguer soigneusement la decision reelle de ses motifs et leur donner une place différente sans les confondre jamais, car de simples motifs ne doivent jamais avoir l’autorité de la chose jugde.
Voilà pour l’Allemagne deux constatations interessantes: “De simples motifs ne doivent jamais avoir Pautorite de la chose jugée;” et il est prescrit au juge de ne pas conf ondre ces deux choses, il doit separer les motif s du dispositif.
Savigny, qui, vous le savez, enseigne une opinion differente et dont je parlerai tout à l’heure, se prononce dans notre sens par d’autres raisons; mais il reconnait que sur cette question des motifs la plupart des auteurs allemands se prononcent dans un autre sens que lui, et son livre cite des decisions de la jurisprudence allemande qui decident la question comme les jurisprudences beige et frangaise.
Et un autre auteur cite avec complaisance par nos honorables contradicteurs, M. Griolet, qui traite longuement la question, refute la these de Savigny, et il y revient à maint endroit de son livre. Pour Griolet, il n’y à pas à tenir compte des motifs, ils n’ont que Pautoritt du juge et ne participent en aucune fapon—il le dit page 7—a la présomption de verite attribute à la chose jugte.
Il y revient page 9:
L’erreur de M. de Savigny commence quand il etend Pautorité de la chose jugée non plus seulement aux rapports de droit considered comme motifs de la sentence, mais à des faits ou même à des droits qui ne sont pas mis en cause.
Et à la page 102, avec plus de precision, nous lisons:
Dans nos usages comme en droit remain, la sanction ou le refus de sanction constitue le dispositif du jugement . . . aucun de nos auteurs n’a enseigné un systeme analogue à celui de M. de Savigny sur Tautorite des motifs; et la jurisprudence reconnait en principe que Tautorité de la chose jug6e ne s’etend jamais à aucun des motifs de la decision.
Vous retrouverez ailleurs encore cette même thése—mais je ne veux pas abuser des citations.
Sir Edward Fry. Voulez-vous me preter le livre?
M. Beernaert. Txrès volontiers, mais comme j’en aurai encore besoin, Votre Honneur voudra bien me le faire rendre.
Sir Edward Fry. C’est pour un instant seulement.
M. Beernaert. Je disais done que l’ouvrage de Griolet confirme ma these en ce qui concerne l’absolue distinction à faire entre les motifs et le dispositif.
M. Descamps. Voulez-vous avoir la bonte de m’indiquer les pages auxquelles vous vous referez, parce que c’est très important.
M. Beernaert. J’en ai indique plusieurs. Voyez aussi pages 102, 183, j’en signalerai d’autres encore.
Le principe que je viens d’indiquer à reçu diverses applications qui le mettent mieux en lumiere. Non seulement les motifs d’une decision judiciaire n’ont aucune autorite de jugement, mais ils ne lient pas même le juge de qui ils emanent.
C’est la raison de cette règle fondamentale que l’interlocutoire ne lie pas le juge. Index ab interlocutorio discedere potest.
Et M. Larombiere (N°. 16) fait remarquer que, pour qu’il en soit ainsi, il y à cette raison decisive qu’entre l’objet de la demande jugée par l’interlocutoire et la decision qui admet ou repousse cette demande au fond il ne peut y avoir identite, et que “l’identite d’objet est toujours l’une des conditions essentielles et fondamentales de la chose jugée.” Sans doute le juge à exprime son sentiment, et il peut l’avoir fait dans les conditions les plus explicites, les plus formelles; il n’y à plus qu’à en tirer la conclusion, mais peu. importe, ce n’est qu’un sentiment, qu’un pre juge, et aussi longtemps qu’il n’y à pas jugement le juge est libre de changer d’avis.a
Je ne veux citer qu’un arret tout recent de notre Cour de Cassation (18 juillet 1901); et c’est la en jurisprudence une grande et très serieuse autorite; plusieurs des membres de la Haute-Cour sont même de confirmer ce que j’en dis.
“Considerant, porte cet arret, que le jugement du 19 novembre 1868 s’est borne à admettre la preuve de certains faits, que ce jugement est purement interlocutoire, que les appreciations qu’il contient sur le fond du procès ne constituent aucunement la chose jugée, celle-ci residant exclusivement dans le dispositif des jugements.”
Done, le prejuge d’un jugement simplement interlocutoire n’a aucune force juridique, et Voilà qui renforce mon argumentation de tout à l’heure.
Autre consequence du même principe: Dans les Etats ou, comme en France, en Belgique, et si je ne me trompe dans les Pays-Bas, la Cour Supreme n’a à juger que le droit et l’exacte application de la loi sans avoir à se preoccuper du fait, aucun recours en Cassation ne peut 6tre admis si celle-ci ne vicie pas en même temps le dispositif. Des motifs errones ne peuvent par eux-mêmes donner ouverture à cassation, car ne liant pas le juge ils ne disent pas le droit.
Cette question-ci, messieurs, ayant peut-etre une relation plus directe avec la these que je defends, je me permettrai de vous indiquer quelques-unes des decisions de Cours Supremes qui l’ont ainsi jugée. Ce [Page 723] sont les arrets de la Cour de Cassation de Belgique des 3 mars 1853 (Pasicrisie de Belgique 1853, 1. 249) 13 fevrier 1865, et du 5 noveinbre 1888 (Pasicrisie, 1889. 1. 20). La Cour de Cassation de France Fa dtcidee aussi nettement par ses arrets plus anciens des 8 fevrier et 8 aout 1837, 12 mars 1838, etc.
Si mince est Pimportanee des motifs au point de vue de la chose jugée qu’aucum pourvoi en Cassation n’est même admissible quand il y à contradiction, contradiction absolue, entre les motifs et le dispositif d’une même decision judiciaire. Ainsi, le jugement dit blanc dans ses motifs, noir dans son dispositif, la contradiction est absolue, peu importe l’erreur commise, il n’y à a tenir compte que du dispositif. C’est ce qu à juge la Cour de Cassation de France—je suis confus de ces citations, mais peut-etre sont-elles necessaires—notamment le 11 fevrier 1807, le 9 Janvier 1839, le 23 juillet 1839, le 3 mai 1843.
Je crois donc, messieurs, pouvoir conclure de ce que je viens de dire que tout au moins au point de vue des legislations qui procedenl du droit romain et specialement de la legislation hispano-américaine, on peut affirmer que la chose jugée reside exclusivement-dans le dispositif, et ne s’etend jamais aux motifs d’un jugement.
Est-ce à dire que les motifs n’aient en pareil cas aucune importance? Ce n’est pas ma pensee. Les motifs peuvent être utilement invoques pour determiner le sens du dispositif, pour lui donner sa veritable portee, pour Pinterpreter s’il est obscur; cela aussi est de jurisprudence, mais les motifs n’ont pas ici d’autre portee.
Il y à plus: les auteurs et la jurisprudence sont d’accord que même dans cette partie speciale du jugement qui constitue le dispositif, la force de chose jugée ne s’attache qu’si ce que le juge ordonne et qu’il faut que ce soient des dispositions certaines: Sententia debet esse certa. De simples enonciations ou une condamnation sans precision ne participent pas à la prtsomption de vtrite.
C’était déjà, messieurs, la disposition de la loi romaine; et Pothier la lui à empruntee. Vous pourriez voir aussi ce qu’en dit Larombiere (Traitt des Obligations, Tome 3, No. 19).
J’avais tan tot Phonneur de vous dire que sur cette question de la force des motifs, il y avait Popinion divergente et qui assurement merite d’arreter Pattention de Savigny.
Il m’appartiendrait, messieurs, moins qu’à personne de ne point parler de cet illustre jurisconsulte avec le respect qui lui revient: je suis peut-etre l’un des derniers auditeurs encore en vie de son cours de Berlin et je lui garde le plus reconnaissant souvenir. M. de Savigny n’ttend pas Pautorite de la chose jugée à tous les motifs; il fait une distinction un peu nuageuse, peut-etre trop nuageuse, entre ce qu’il appelle les motifs subjectifs et les motifs objectifs, et n’accorde qu’à ces derniers la force de la chose jugée. Pour lui, le motif subjectif n’est qu’accessoire, il peut avoir eu quelque influence sur Pesprit du juge, mais sans aller jusqu’a determiner sa decision; le motif objectif, c’est le motif determinant, celui-la devrait participer à la verite de la chose jugée.
La Cour voit quel danger presenterait en pratique Padmission d’une semblable these, et combien serait delicate la recherche psychologique qu’il faudrait faire pour discerner les motifs decisifs et ceux qui n’ont qu’une valeur accessoire! Toujours est-il que telle est Popinion de Savigny, et pour la preciser, il s’approprie ce que dit Bohmer:
Les motifs qu’il faut retenir sont ceux qui forment Fame de la sentence.
C’est la thèse que Griolet condamne avec une grande force de raisonnement, mais nous verrons tout à l’heure que par d’autres motifs Savigny nous donnerait raison, s’il était de nos juges.
De tout ce que j’ai dit jusqu’a present je crois, messieurs, pouvoir conclure que l’exception de chose jugée ne pourrait nous être opposee que si dans la premiere sentence, la sentence de M. Thornton, il avait été statue sur notre cas; il aurait fallu que M. Thornton eut declare le droit des eveques, non pas seulement aux annuites qu’il à allouees, mais à un capital ou à la rente perpetuelle qui representerait ce capital.
Or, messieurs, vous le savez, le contraire resulte du texte precis de la decision du tiers-arbitre qui ne porte condamnation qu’à 21 annuites seulement.
Et cela devient encore plus decisif lorsqu’on rapproche, comme il est toujours indispensable de le faire, la chose ainsi jugée de la demande dont le juge était saisi. C’est en effet une règle aussi eiementaire qu’universelle que le juge ne peut jamais depasser les limites de la demande. La demande est la base du jugement, on ne peut l’exceder; c’est le vieux brocard: Tantum judicatum quantum litigatum. Et sous une autre forme c’est le principe proclame par Particle 1351 du Code Civil; il n’y a, il ne peut y avoir chose jugée que sur ce qui à fait l’objet de la demande; telle est “Fame”—je me sers mon tour de cette expression—de Particle 1351.
En droit franpais, beige ou espagnol, si le juge à pronounce sur choses non demandees, il y à lieu à requete civile, et lui-même doit retracter le jugement qu’il à rendu. C’est ce que portent les Codes de Procedure francais et beige, article 480, N°. 3 et 4.
Laurent va plus loin: il n’admet même pas qu’il soit necessaire d’une retractation formelle; il ne faut pas, dit-il, tenir compte (Tome 20, N°. 13) du jugement en ce qu’il statue ultrapetita.
Et je ne dois pas insister, puisque nos honorables contradicteurs eux-mêmes ont reconnu dans les documents distribues par eux que si des arbitres avaient statue au-dela de la demande, leur decision ne serait pas obligatoire. Savigny est du même avis.
Done, les premiers juges n’auraient pu reconnaitre un droit perpetuel et le consacrer que si pareille chose leur avait été demandee; il était impossible que leur sentence debordat la demande sans être nulle. Telle est la regie; elle est absolue et universelle.
Voyons ce qui à été demande.
Au debut, les eveques avaient annonce une reclamation en capital; dans leur premiere lettre au Gouvernement des Etats-Unis, ils disaient qu’ils avaient à charge du Mexique des reclamations très importantes et se chiffrant par de grosses sommes—ils parlaient de 14 ou 1,500,000 dollars. Mais la partie demanderesse à plus tard change completement d’attitude pour ne plus demander que 21 annuites s’etendant de l’annee 1848 à l’annee 1870, et comme je le rappelais tout à l’heure, plus tard ils n’etendirent pas même leur demande aux annuites echues en cours d’instance, comme il eut été si naturel de le faire, sans même faire de reserves à ce sujet. Ainsi, ils reduisaient bien leur demande à 21 annuites, et lorsque Sir Thornton les à allouees il à fait exactement ce qu’on lui demandait; il ne lui eut pas été permis d’aller au-dela sans faire oeuvre nulle.
Comment admettre des lors que ses motifs eussent deborde et ce qu’il decidait et ce qu’on lui demandait de decider? En fait comme en droit c’était chose absolument impossible.
[Page 725]Et pourquoi, messieurs, ce changement d’attitude de la partie demanderesse? pourquoi aujourd’hui encore devant vous demandeton, non pas la reconnaissance d’un droit perpetuel, mais seulement 32 annuites? La raison en est du plus haut intérêt et vous à dtja ett indiquee.
C’est que le traite de Guadulupe Hidalgo avait donnt quittance au Mexique à un double point de vue: de la part du Gouvernement des Etats-Unis il constituait un reglement formel, dtfinitif et complet, ecartant tout sejet de querelle, toute possibility de conflit; et, chose plus importante à notre point de vue, ce même traite abolissait toutes les reclamations que pourraient avoir à faire des citoyens des Etats-Unis à charge du Gouvernement mexicain moyennant le paiement par le Mexique au Gouvernement américain d’une somme de 3,250,000 dollars; les Etats-Unis, en dechargent le Gouvernement mexicain, se chargeaient de faire eux mêmes droit à toutes les reclamations qui seraient reconnues fondées. Ainsi, desormais plus de reclamation possible par des citoyens de l’un des deux pays à charge du Gouvernement de l’autre, du moment ou le principe ou la raison d’etre de ces reclamations procedait de faits ou d’actes anterieurs à la ratification du traite.
Dans ces conditions, comment la reclamation d’une park du Fonds Pie pouvait-elle se produire? Comment rtclamer à raison de faits, les uns datant d’un siecle ou d’un siecle et demi, les autres plus recents mais procedant du Gouvernement mexicain et des arretes par lesquels il à successivement donné puis enleve à l’eveque de Californie l’administration des biens, mais tous bien anterieurs à la date du traite? C’était impossible, le texte était formel, et ce que les eveques américains ne pouvaient faire, il est evident que le Gouvernement des Etats-Unis l’aurait pu bien moins encore.
Sans le traite de Guadalupe Hidalgo, une reclamation du Gouvernement des Etats-Unis se serait presentee dans des conditions juridiques plus avantageuses que celle des eveques. Peut-Stre auraient-ils pu dire: Voici un Fonds ayant une destination publique, destine à de grands intérêts, pour l’avantage d’un territoire qui est aujourd’hui divise entre nous, partageons les ressources comme nous aurons desormais à nous partager les charges.
Mais le texte du traitt de Guadalupe Hidalgo interdisait semblable langage.
On le comprit, et Voilà pourquoi les eveques, apres avoir annonce une pretention à un capital ou à une rente qui representait ce capital, se sont bornes à demander 21 annuites en disant que c’etaient la des droits qui avant 1848 n’etaient pas nes, qu’ils naissaient chaque annee par le non paiement, que par consequent il n’y avait pas été renonce.
Le tiers-arbitre, messieurs, reconnaît la vérité de ce que je viens de dire; voici ce que je lis presque au début de sa sentence:
Les réclamations antérieures à la ratification du traité de Guadalupe Hidalgo qui auraient pu être présentées avant cette date ne pouvaient être soumises à la Commission, mais on est recevable quant aux reclamations posterieures; et c’est ainsi qu’il alloue les intérêts echus du 30 mars, 1848, jusqu’a ce jour.
“Jusqu’a ce jour” constituait une distraction—cela se voit même dans une ceuvre de justice—car on était en 1875, et dans le dispositif l’arbitre n’alloue que les intérêts demandes, les seuls par consequent qu’il put allouer, c’est à dire jusqu’en 1870.—Ce montif-la du moins n’est pas invoqut comme valant chose jugée.
[Page 726]Ainsi, on ne pouvait pas reclamer un droit en principal, on ne Pa pas fait, et il n’y à pas été statue. Et, chose remarquable, aujourd’hui encore on reconnait qu’on ne le peut pass! M. Ralston dit dans sa lettre du 21 février 1901.
Nous n’avons jamais réclamé la propriété ni le capital. C’eût été impossible, puisque les confiscations prononcees étaient des actes sbuverains.
On se trouvait done devant une fin de non recevoir qu’on reconnaissait insurmontable, et Voilà pour quoi on à transformé l’action en la reduisant à 21 ans, sous pretexte que le droit n’était viole que d’annee en annee et qu’ainsi il y avait autant de demandes annuelles differentes q’il y avait d’echeances.
J’avoue, messieurs, qu’en elle-même cette transformation de la demande me parait injustifiable. Comment concevoir ce droit annuel qui n’aurait pas de principe? Comment naitrait-il s’il n’y avait pas de droit anterieur? Ou bien vous aurait-il suffi de ne pas faire juger ce droit, de ne pas le faire reconnaitre? Pretendriez-vous que votre titre s’imposait, qu’il faisait loi, qu’il ne fallait pas même le faire admettre, alors qu’il était si formellement conteste? Il faut bien que vous souteniez cela, car autrement la transformation de votre action ne se concevrait pas.
D’autre part, qu’est-ce done que cet etrange respect des droits et des actes souverains du Mexique?—est le mot dont on se sert. i
Le Mexique à nationalise les biens du Fonds Pie, comme plus tard il à nationalise tous les biens de l’Eglise, suivant en cela plus d’un precedent. On peut, dit M. Ralston, deplorer ces actes, lesregretter—et je dois dire que sur ce point-la nous serions aisement d’accord; mais il reconnait que c’est en vain que philosophiquement ou historiquement on les deplorerait, puisque telle est la loi. Et en eflet, nous sommes ici non pas des hommes politiques mais des juristes: nous devons nous incliner devant la loi sans y contredire; la loi est comme les chiffres: on ne discute pas avec eux.
Mais qu’est-ce donc que cette façon de s’incliner? Vous reconnaissez que le Mexique est propriétaire du Fonds Pie que vous n’avez rien à, réclamer à ce sujet; cette propriété il ne lui serait pas même permis de s’en dépouiller, il serait condamné à être propriétaire à perpétuité!— sorte de tunique de Nessus.—Mais en quoi consisterait ce droit que vous entendez respecter scrupuleusement Dans Pavantage d’avoir à payer perpétuellement un intérêt de 6 per cent sur le capital soi-disant represents, et cela indefiniment, perpetuellement, et en or, et sans qu’on accorde au Mexique aucune intervention en ce qui concerne Pemploi des fonds, sans qu’on lui permette aucun contrôle!
Vous ne reclamez pas le capital, oh! non, vous respectez la loi mexicaine, vous reconnaissez que vous ne pouvez pas la discuter, il y faut obeir, mais vous reclamez tout ce que la propriety pourrait donner d’avantages, et même au-dela!
Quoi qu’il en soit de cette question que j’ai eu tort de traiter puisque M. Delacroix l’a fait hier de la maniere la plus complete, il y à une chose ici qui me semble absolument inadmissible et sur laquelle je me permets d’appeler tout Pattention de la Cour: c’est que l’on plaide à la fois—qu’on ne peut reclamer le capital et qu’on s’est bien garde de le faire, qu’on s’en garde encore aujourd’hui—et que cependant ce capital aurait été implicitement adjuge sous la forme d’une rente perpetuelle. Ce qu’on ne peut pas faire, c’est de pretendre en meme [Page 727] temps échapper à la fin de non recevoir que devait soul ever necessairement la demande de principe, et de dire que ce même principe à tte juge.
Il s’agirait, dit-on, d’un droit qui nait chaque annee, et il serait juge ad futurum, à perpetuite, relativement à des droits qui n’etaient pas nés!
Essayez done de mettre tout cela d’accord. Pour moi je m’y essaie vainement.
Messieurs, on à eu pour le Gouvernement mexicain certains mots un peu vifs; je n’en veux point prononcer de semblables. La solennite de cette instance qui met pour la premiere fois en mouvement une institution à laquelle je tiens à grand honneur d’avoir pu contribuer, la personnalite de nos juges, la sphere elevee dans laquelle nous discutons doivent les exclure. Mais il doit m’etre permis de dire qu’il y à ici de la part de nos adversaires une habilete d’attitude qui ne resistera pas à l’examen. à mon avis, il n’est pas correct de vouloir cumuler les avantages de deux situations contradictoires. Vous avez demande 21 annuites d’intérêts et vous les avez obtenues; soit, cela à été juge, la sentence à été exeeutee; vous en demandez maintenant 32, vous y etes recevables et je nele conteste pas; mais je dis que quant à cette seconde demande succedant de si loin à la premiere j’ai le droit de me def endre sans que l’on puisse m’opposer la chose jugée, et vous ne pouvez le faire qu’en transformant le caractere de votre demande et en lui donnant des la premiere instance ce caractere permanent et perpetuel qui l’aurait rendue absolument non recevable.
On à represents ce qu’il y aurait d’etrange à voir ainsi soulever deux fois non pas la même demande mais la même question. Comment! dit-on, il à dejk été juge que des intérêts sont dus, voici d’autres intérêts echus, et il faut un second procès!
Mais à qui la faute? à vous, et à vous seuls; qu’est-ce qui vous empechait, si vous vous y croyiez fondts, de maintenir la forme que vous aviez originairement donnee à votre reclamation? Pourquoi ne pas demander la reconnaissance du droit allegue en principe? Pourquoi aujourd’hui encore ne le faites-vous pas? Pourquoi ne demandez-vous que 32 annuites, sans plus? Parce que vous ne le pouvez pas, parce que vous ne l’osez pas, parce que si vous donniez à votre demande une portee generale, le traite de Guadalupe Hidalgo se dresserait devant vous pour vous barrer le chemin. Done ce n’est pas à nous qu’il faut s’en prendre de ce que vous dites une bizarrerie.
Et, tandis que je suis sur ce terrain, qu’il me soit permis de repondre à d’autres reproches que j’ai été surpris d’entendre dans la bouche de nos contradicteurs. Il n’est pas bien, a-t-on dit, d’accepter une sentence lorsqu’elle est favorable, pour la repousser dans le cas contraire; il ne se peut pas qu’on repousse la chose jugée sous pretexte qu’elle tmanerait d’arbitres ou que l’on mette en doute leur competence.
Ou. done voit-on rien de semblable? Ou. le Mexique aurait-il manque à ses devoirs de nation ou indique qu’il serait dispost ay manquer? Une premiere fois, il à admis l’arbitrage, etéon à rappelt avec raison qu’il à eu ensuite dix occasions de s’y derober puisqu’il à fallu proroger successivement les delais. Le Gouvernement mexicain n’y à pas songe; honnetement et loyalement, il à reconnu qu’il y avait lieu pour lui de prolonger le terme du compromis, et, chose curieuse, on à paru vouloir en tirer argument contre lui!
[Page 728]Dans cet arbitrage, le Mexique n’a point conteste la competence de la commission, il n’a conteste que la pretention de la saisir d’une reclamation à laquelle le traite de Guadalupe Hidalgo avait mis terme; et le Mexique avait raison puisque ce sont ces considerations qui vous ont determine à modifier la demande en luidonnantun autre caractere. C’est la, messieurs, ce que M. Azpiroz à fait remarquer dans le remarquable memoire reproduit au livre rouge et sur lequel je me permets d’appeler l’attention de la Cour comme complement de notre plaidoirie: l’affaire est trop compliquee, trop touffue, trop longue, pour que l’on puisse tout dire.
M. Azpiroz disait que bien qu’on reduisit la demande à certaines annuites, elle avait la même nature; vous ne demandez, disait-il, que 21 annees d’intérêts, mais ces 21 annees supposent une base, un principe, et peut-être viendrez-vous dire plus tard que ce droit à été reconnu alors qu’il ne peut pas même être aliegue. Et voici que precisement l’apprehension ainsi exprimee s’est realisee. Il avait done raison encore.
La defense du Mexique à ete, à mon sens, absolument correcte. Mais il à succoinbe: le tiers arbitre s’est declare competent pour la contestation limitee dont seul il s’est saisi. Et il à statue, statue sans grand examen, ou du moins sans examen de detail, puisque de tous les moyens et de tous les chiffres pue vous avez entendu discuter il n’est pas question dans la sentence. Mais le debat n’avait pas été éclairé par ces plaidoiries contradictoires qui font la lumiere même pour les juges les meilleurs. Cette sentence, le Gouvernement mexicain l’a respectee, et pleinement executee, mais il doit être permis de dire, sans manquer de respect au juge qui l’a rendue, qu’elle n’annonce que des connaissances juridiques un peu sommaires. Lui-même le reconnait d’ailleurs au debut de sa sentence; Sir Thornton declare ne pouvoir discuter les arguments formes par les deux parties, et decider d’apres ce qu’il trouve juste et equitable.
Toujours est-il que le Mexique s’est soumis et à paye, comme il le devait. Nous reconnaissons à cette sentence, que je veux considerer comme arbitrale, force de chose jugée dans son dispositif. Mais nous
J)laidons, et nous avons le droit de plaider que la chose ainsi jugée se imite à la demande, qu’elle n’a pas statue pour l’avenir, et que la nouvelle demande dont vous etes saisis nous trouve en possession de tous nos moyens de defense.
Pour le surplus, messieurs, la conduite du Mexique sera à l’avenir ce qu’elle à été jusqu’4 present. Son Gouvernement à trop le souci de la dignite nationale et le sentiment des devoirs que cette dignite commande pour qu’il soit permis d’en douter; ce n’est pas mon honorable et excellent collegue Son Excellence M. Pardo qui me contredira. Les critiques auxquelles je reponds en ce moment n’avaient done pas même de pretexte.
Mais je re viens à mon sujet. Je crois avoir demontre qu’il ne faut tenir compte au point de vue de I’autorite d’un jugement que de son dispositif, de ce qu’il decide et à pu decider et non de ses motifs; mais je vous ai annonce que j’avais encore à cet egard quelques mots à vous dire de Savigny.
Si Savigny, disais-je, était notre juge, il nous donnerait raison, malgre sa theorie contraire quant aux motifs; et voici à quel double point de vue. Savigny, lui aussi, veut que le juge ne puisse dire droit que sur ce qui lui est demande, sans que jamais sa sentence puisse [Page 729] excéder les limites de la demande, et il rend sa pensee en s’appropriant ces termes de Buchka:
“Le juge peut et veut prononcer sur tout ce qui est fixé comme objet du litigepar les actes de la procédure.”
M. Descamps. Quelle page?
M. Beernaert. Je vous Pindiquerai.
Messieurs, c’est en d’autres termes la reproduction de cette partie essentielle de Particle 1351 du Code Civil sur laquelle j’ai appele votre attention, et qui vise l’objet de la demande et l’objet du jugement.
Eh bien, messieurs, si comme le dit Savigny le juge n’a pu statuer que sur l’objet du litige determine par les actes de la procedure, comment pourrions-nous être econduits par la chose jugée?
Il y à un second point de vue auquel Savigny nous donné encore raison: c’est que d’apres lui aussi jamais la chose jugée ne peut avoir d’influence sur des faits posterieurs. Le juge applique le droit à un fait accompli, mais il ne peut d’avance decider ce que serale droit dans une hypothese don nee. Le juge ne peut statuer ad futurum, cela n’est pas possible.
Vous pourriez encore, messieurs, consulter à ce sujet Laurent (T. 20 N° 37), un arret de la Cour de Cassation de France du 12 avril 1856 (D. P. 1. 260) etc.
Il y à une matiere à propos de laquelle cette verite juridique à ttt souvent mise en lumiere: c’est lorsque les parties sollicitent et que le juge prononce des astreintes; prevoyant que la partie pourrait ne pas se soumettre à sa decision, il la rend d’avance passible de dommagesintérêts calcules par jour de retard ou autrement. On s’est demande quelle est la valeur obligatoire de la chose ainsi jugée. Elle est dans le dispositif, et cependant semblable disposition n’a rien d’obligatoire.
Prise ad futurum, à raison d’un fait qui ne s’est pas encore produit, elle n’a que Papparence de la chose jugée, et il est certain que ce qui à tte ainsi juge peut être discute le lendemain et être remis en question.
Il me reste à développer mes deux autres propositions, mais je pourrai étre ici plus bref.
(A midi la séance est suspendue jusqu’à, 2½ heures.)
- C. C. F. 5 juin 1821, S. V. 1. 341, 21 décembre 1830, 31, 1, 152, 9 Janvier 1838, 1. 550, 23 juillet 1839, 1. 560, 8 juin 1842. 1. 321, 30 aout 1850. 1. 497, etc. Pandectes Beiges, V° Chose jugée, N° 144 à 159.—Voir aussi O. C. B. 18 Janvier 1877. P. 1. 85, 25 mars 1880, etc., Bruxelles 1 mars 1849. 1. 136, 2 aout 1855. 2. 453, etc.↩
-
V. .C C. F. 10 juin 1856 (D. P. 56. 1. 425).
C. C. B. 28 janvier 1848 (P. 48. 1. 296), 20 mai 1898 (98. 1. 191), 18 juillet 1901 (1901. l. 349).
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