Séance du 15 septembre 1902 (matin).
L’audience est ouverte à 11½ h. du matin sous la présidence de M. Matzen.
M. Matzen prend place au fauteuil de la Présidence et pronounce le discours suivant:
Excellences! Messieurs! Comme Président du Tribunal d’Arbitrage, institué en vertu du traité conclu à Washington le 22 mai 1902 [Page 503] entre les Etats-Unis de l’Amérique et les Etats-Unis Mexicains, je déclare la première séance du Tribunal ouverte.
“C’est la première fois qu’a été constitué un Tribunal d’Arbitrage, siégeant sous le régime de la Convention de la Haye sur l’Arbitrage International et composé de membres de la Cour Permanente d’Arbitrage, crée par la Convention; et je remercie Vos Excellences ici présentes, Président et Membres du Conseil Administratif de la Cour Permanente, d’avoir bien voulu nous faire l’honneur d’assister à la premiere seance du premier Tribunal d’Arbitrage, émané de la Cour permanente.
“Ce premier Tribunal est constitué grâce à Pinitiative de deux Grandes Puissances du Nouveau Monde, qui, animées du même sincère désir de faire règler un différend survenu entre eux à l’amiable et d’une manière satisfaisante et juste, sont tombées d’accord de le soumettre à un Arbitrage conforme dans son essence aux règles de la Convention de la Haye.
“Toutes les stipulations du traité susmentionné relatives à la constitution de ce Tribunal d’Arbitrage ont été dûment exécutées.
“Les Membres du Tribunal ici présents sont prêts à remplir consciencieusement la tâche importante et honorable, qui leur a été confiée.
“Les Arbitres, choisis par les puissances, brillent au premier rang des jurisconsultes durnonde et sont bien au-dessus des mes éloges.
“Le fait d’avoir été appelé par leur vote, à présider leurs séances est considéré par moi comme un grand honneur illustrant toute mon existence, mais il serait de nature à m’effrayer, si je n’avais pas la ferme certitude de pouvoir compter sur leur constante et bienveillante collaboration.
“Au nom du Tribunal je souhaite une respectueuse et cordiale bienvenue aux illustres personnages représentant les Puissances devant le Tribunal et aux Conseils éminents, qui les assistent de leurs lumiéres, dont les savants discours élucideront les faits et fixeront des bases pour nos délibérations.
“Au moment de Pouverture des séances du Tribunal j’émets le vœu qu’il nous soit donné, grâce aussi au concours zèlé et à la collaboration des Hautes Parties d’inaugurer les travaux des tribunaux d’arbitrage de la Convention de la Haye d’une manière conforme à la pensée sublime qui Pa inspirée et au but glorieux, qu’elle jest appelée a faciliter: le règlement pacifique des litiges entre les États sur la seule base solide, la base du respect du droit.”
Avant de procéder à l’instruction, j’ai encore quelques communications à faire. Les arbitres choisis par les Puissances, et qui m’ont fait l’honneur de me mommer président du Tribunal, sont:
“Le Très Honorable Sir Edward Fry, docteur en droit, siégeant à la Cour d’Appel, membre du Conseil Prive de Sa Majeste Britannique, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage, arbitre désigné par les États-Unis d’Amérique;
“Son Excellence Mr. de Martens, Conseiller privé, membre du Conseil du Ministère impérial des affaires étrangères á Saint Pétersbourg, membre de la Coar permanente d’arbitrage, arbitre désigné par les États-Unis d’Amérique;
“M. T. M. C. Asser, docteur en droit, membre du Conseil d’État des Pays-Bas, ancien professeur a l’Universite d’Amsterdam, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage, arbitre désigné par les États Unis Mexicains;
[Page 504]“M. le Jonkheer de Savornin Lohman, docteur en droit, ancien ministre de l’Intérieur des Pays-Bas, ancien professeur a PUniversite libre d’Amsterdam, membre de la seconde Chambre des Etats-Généraux, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage, arbitre désigné par les Etats-Unis Mexicains.
“Les agents des parties sont:
“M. Jackson Harvey Ralston, agent pour les Etats-Unis d’Amérique, et Son Excellence M. Emilio Pardo, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Mexique près de Sa Majesté la Reine des Pays-Bas, agent pour les Etats-Unis Mexicains.
“Les conseils sont:
“Pour les Etats-Unis d’Amerique:
“Mr. William Lawrence Penfield, juge,
“M. le Sénateur Stewart,
“M. le Chevalier Descamps, sénateur du royaume de Belgique, Secrétaire-Général de l’Institut du droit international, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage,
“Mr. Charles J. Kappler,
“Mr. W. T. S. Doyle,
“Mr. Garrett W. McEnerney.
“L’agent des Etats-Unis Mexicains sera assisté de Son Excellence M. Beernaert, ministre d’Etat membre de la Chambre des représentants de Belgique, membre de la Cour Permanente d’Arbitrage.
“Auxtermes de l’article 4 (1) de la convention de La Haye, le Président doit nommer les secrétaires. J’invite done M. Ruyssenaers, Secrétaire-Général de la Cour Permanente d’Arbitrage, à remplir les mêmos fonctions auprès du Tribunal d’Arbitrage.
“Comme secrétaires lui sont adjoints:
“Mr. Walter S. Penfield.
“M. Luis Pardo, premier secrétaire de la Légation du Mexique à La Haye, et M. le Jonkheer W. Röell, premier secrétaire du bureau international de la Cour Permanente d’Arbitrage.
“D’après l’article 38 de la Convention de La Haye, le Tribunal décide du choix des langues dont il sera fait usage et dont l’emploi sera autorisé devant lui. Le Tribunal a décidé que la langue officielle devant lui serait la langue francaise, mais il a autorisé l’emploi des langues française et anglaise. Les procés-verbaux seront en rédigés en francais et sous une forme concise; cependant les Parties seront libres d’engager des sténographies pour les comptes-rendus des débats.
“D’après l’article 41 de la Convention de La Haye, le Tribunal, avec l’assentiment des Parties, a décidé que les débats seront publics, mais á cause de la place restreinte dont il dispose, l’admission aux séances sera réservée aux personnes munies de cartes à délivrer par le Secrétaire-Général du Tribunal.
“Telles sont les communications que j’avais à faire.
“M. l’agent des Etats-Unis d’Amérique du Nord a la parole.”
Mr. Jackson Harvey Ralston, Agent des Etats-Unis d’Amérique, prononce le discours suivant:
“On behalf of the United States, it is my honor and pleasure to offer a brief reply of thanks to the courteous sentiments of the distinguished president of this court.
“At this moment, permit me to express my appreciation of the action of the Netherlands Government in extending many courtesies in connection with the establishment of the court of arbitration, as well [Page 505] as in facilitating the work of the first litigants, and furthermore to acknowledge most heartily the compliment shown by the attendance on this occasion of the members of the administrative council.
“We, who represent the United States, esteem highly the opportunity of presenting before this learned body a controversy involving the two foremost nations of the North American continent. It is perhaps natural that we should felicitate ourselves upon the fact that the first nations to resort to this tribunal are of the Western Hemisphere, and are nations which may take pride in the fact that they are legitimate offspring of the peoples of Europe, and as such, inheritors of centuries of a common civilization, the most advanced that the world has ever known.
“We of the United States find satisfaction in the fact that the first suggestion of arbitration of the question now offered for your consideration was made by Mr. Secretary Hay, of the United States, whose fame as a diplomatist and as a statesman knows no national bounds. We congratulate our neighbours upon the other side that after this suggestion Mr, Hay and the distinguished secretary of foreign affairs of Mexico, Mr. Mariscal, came to a speedy accord upon the proposition to refer the proposed arbitration for settlement under the provisions of The Hague Peace Convention.
“On May 22, 1902, the protocol was signed at Washington, and without loss of any time the Mexican Senate, on May 30, validated its requirements by ratifying the instrument.
“That the two countries should have been willing to arbitrate their differences before five members of the permanent court of arbitration is, I venture to say, conclusive evidence of belief in the impartiality and ability which would be displayed by those whom the signatories of The Hague Convention had designated from among their most eminent jurists and publicists.
“Inaugurating our proceedings under such circumstances, I may assure you, Mr. President and honorable arbitrators, that the determinations of this court, whatever they may be, will command and receive the respect and unquestioned acquiescence of the United States. After your award shall have been rendered, no matter wnat our previous opinions may have been, we will remember the language of a distinguished English jurist who, on the occasion of a famous international arbitration, said:
I hope that the English people will obey the decisions of the judges with the submission and respect due to the decision of a tribunal whose decree they have freely agreed to accept.
“I do not wish to take my seat without expressing the hope of my country that the precedent of appealing to the judges forming the Permanent Court of Arbitration may be followed with increasing frequency as years go by. While the unique honor must remain to the United States of America and the United Mexican States of being the first voluntarily to submit their differences to the jurisdiction of this court, it will be a source of the greatest satisfaction to my Government if the action thus taken should pave the way to similar settlements in the future, whereby in later cases misunderstandings which might otherwise lead to conflicts between states may receive peaceable adjustment, believing as it does that the most happy rivalry that can possibly exist between nations is to be found in a common effort to excel in whatever tends to bring about the contentment and well-being of mankind. The good of humanity is an end to which the United States [Page 506] steadily and consciously struggles, and toward the same end, we believe, assuredly the formation and the extension of the employment of the Permanent Court of Arbitration must largely contribute.
“In again thanking you, Mr. President, for your own expressions of courtesy and good will, let me once more express the hope that our labors may conduce towards the coming of the time when, to paraphrase the language of England’s great poet:
The war drum throbs no longer,
And the battle
flags are furled
In the parliament of man,
The federation of the
world.
M. le Président. M. l’agent des Etats-Unis Mexicains a la parole.
Son Excellence M. Emilio Pardo, agent des Etats-Unis Mexicains, prononce le discours suivant:
“Messieurs! Au nom du Gouvernement des Etats-Unis Mexicains, je profite de cette occasion solennelle pour exprimer ses remercîments très sincères et très cordiaux aux éminents publicistes qui forment la Cour Permanente d’Arbitrage, appelée à prononcer la dernière parole sur le différend suscité entre les représentants de l’Eglise Catholique de la Haute Californie et mon Pays, au sujet de la réclamation, désormais célèbre, du Fond Pie de Californie.
“Jeme fais un devoir de rernereier également le Gouvernement des Pays-Bas, pour l’hospitalité si tranche et si généreuse qu’il a bien voulu nous accorder, et qui rentre si bien dans les traditions du peuple Néerlandais, et je me pérmets de presenter la reconnaissance de mon Pays et de son Gouvernement aux très distingués membres du Corps Diplomatique qui ont bien voulu honorer de leur présence, cette imposante cérémonie.
“La grande institution créée par le Congrès de la Paix, est appelée pour la première fois à rend re ses importants services à la cause du Droit et de la Justice, et je m’empresse de faire profession publique de la foi du Gouvernement Mexicain en la sagesse, en la science et en l’impartialité de la Cour qui vient d’être installée.
“Quoiqu’il en soit pour nous du jugement de la Cour, nous pouvons dire avec le plus légitime orgueil que, comme le prouve la correspondance diplomatique échangée entre les deux Gouvernements en cause, pour préparer la signature du Protocole du 22 mai dernier, le Mexique fut le premier à proposer l’application de l’arbitrage international établi par la Convention du 29 juillet 1899.
“L’événement, dont nous sommes les témoins, marquera, j’en suis sûr, une date inoubliable dans les fastes de l’histoire de l’arbitrage international, si modeste que soit le litige qui a motivé la convocation de la Cour, et nous devons espérer tons, les puissants et les faibles, tons égaux devant la Justice, que l’exemple donné par les deux Républiques de l’Amerique du Nord ne restera pas infécond et isolé.”
(L’audience est suspendue à 11 h. 45 du matin.)