dix-septième séance.
Le tribunal se réunit à 10 heures du matin, tous les arbitres étant présents.
M. le Président. La parole est à l’agent des Etats-Unis de l’Amérique du Nord.
Mr. Ralston. Mr. President and gentlemen, there are some matters of no great moment, but which I desire to present to the court in order to entirely, as we say, round up the case—end the little details.
The first is the filing of powers of attorney from the bishops of Sacramento and Monterey to the archbishop of San Francisco, authorizing the full prosecution by him of the proceeding which is now pending before this honorable tribunal.
Then, the second is a copy of a call from Mexico upon the United States for discovery as to certain facts, and an additional affidavit of the Most Reverend Patrick W. Riordan as to the discovery called for, and call for discovery, copy of which has heretofore been filed. And I may explain briefly that Mexico has served two calls for discovery upon us; one relating: to the number of Indians and their christianization, and the other relating to the disposition of the former award. I have wanted to make categorically the discoveries asked for by Mexico, and I think with the filing of these papers I have done so.
The third is a paper, which we expect from the printer immediately, a copy of the papal bull, authorizing the formation of the diocese of Monterey and of California, by virtue of which Diego was appointed.
[Page 820]The fourth is the affidavit of Archbishop Riordan, showing search in Rome for correspondence between the Mexican ambassador and the Holy See relative to erection of the bishopric of California, the same occurring in 1840, and copy of letter sent by the Mexican ambassador April 6, 1840, just received, with a translation of the same. We have been making a search for weeks in Rome for a copy of a letter which we believed must have existence, from Mexico to the Holy See, which promised, as we interpret it, to Mexico the full control of the Pious Fund. I should like to call that to the attention of the court and to the other side as quickly as I have my copies from the printer, which will be in the course of an hour.
Fifth. I have a telegram from the Secretary of State showing the date of the last payment to the bishops of California of the former award. I do not suppose that there will be any question between us about the correctness of the telegram, but I should be glad if Mr. Pardo would examine it and see if he is content with the statements made in it.
The sixth is a telegram from the Secretary of State, showing dates and amounts of payments under the Weil and La Abra claims. I should like also to show that to Mr. Pardo. I do not think there is any question of fact between us, and perhaps he will agree that the statements made are correct.
In addition I want to address in open court an inquiry to the agent of Mexico. On August 28th I addressed a letter to His Excellency Emilio Pardo, calling for certain discoveries from Mexico, to which no categorical reply has been received. The letter has been acknowledged, butbeyond that I have had no reply. The points upon which evidence is desired are:
- 1.
- The amount of money paid to the Roman Catholic bishop of California out of or chargeable against the income of the Pious Fund from February 8, 1842, to February 2, 1848, and the amount of payments, if any, similarly made as against the principal thereof.
- 2.
- The amount of money paid out of or chargeable against the income of the Pious Fund to the Roman Catholic bishop or bishops or archbishops of either of the Californias from February 2, 1848, to the present time, or of any similar payments from or chargeable against the principal of said fund.
- 3.
- The amount of money paid from February 8, 1842, to February 2, 1848, chargeable, as above, against either the interest or principal of the Pious Fund to any religious orders of the Catholic Church engaged in work in either Upper or Lower California and for the purposes of such work.
- 4.
- The amount of money paid, chargeable as above, between February 2, 1848, and the present time to any of the religious orders of the Roman Catholic Church for the benefit of work in Upper California as ceded to the United States or in Lower California as remaining to Mexico.
- 5.
- The amount of money paid, chargeable as above, on any other account and disbursed or intended to be disbursed for religious purposes, in either of the Californias, in any manner other than as above indicated between either of the periods above named.
I added that it is desired that the foregoing information should be as specific as convenient with reference to payees, amounts, and dates of payment, and, if it may be, that if the information in detail is not [Page 821] contained in documentary or other printed form, then that any printed official reports or other published papers showing the same in gross should be produced.
Mr. Asser. Is this not before the court?
Mr. Ralston, No; if the court will excuse me. This is a demand for discovery which we made on Mexico on August 28th, which is now nearly five weeks ago, and we have had no answer to it. I call the court’s attention to the fact that no answer has been received, although we have desired to use the evidence, and I want to ask the agent for Mexico when such answer may be expected.
M. le Président. La parole est à l’agent des Etats-Unis mexicains.
M. Delacroix. Nous répondrons cet après-midi à cette communication.
Sir Edward Fry. Quelle est la date sur laquelle on peut donner une réponse? C’est tout ce qu’on a demandé; il est très facile de répondre.
M. Emilio Pardo. Il faut que je voie la correspondance de mon Gouvernement pour pouvoir donner une réponse précise.
M. Delacroix. Ne vaut-il pas mieux que nous répondions au commencement de l’audience de l’après-midi?
M. de Martens. Vous êtes tout à fait libre d’accepter ou non; sans votre consentement le Tribunal ne pourra recevoir aucun document, aux termes des articles 42 et suivants de la Conférence de La Haye.
M. le President. Nous déciderons suivant votre réponse. La parole est au conseil des Etats-Unis mexicains.
M. Delacroix. Messieurs, la bien veillante attention que le Tribunal a bien voulu nous accorder jusqu’ici ne nous permettra certes pas de faire la moindre redite, et en ce qui me concerne je ne revdendrai sur aucun des points que j’ai déjà traités; je me bornerai à répondre aux observations que ont été présentées par mes deux honorables contradicteurs, M. le Sénateur Descamps et l’honorable M. Penfield.
M. le Chevalier Descamps a commencé sa plaidoirie et l’a terminée en vous disant: Pacta servanda; j’étais heureux de cette indication, je me disais que les adversaires allaient enfin descendre sur le terrain où nous les avons conviés et qu’ils allaient nous dire quel est le pactum intervenu entre d’une part l’Eglise catholique, et d’autre part les Jésuites, le Roi d’Espagne, le gouvernement du Mexique, en un mot nous montrer le titre de leur créance. Mon honorable contradicteur M. Descamps, après avoir dit Pacta servanda, s’empressait d’ajouter que ce qu’il réclamait au gouvernement mexicain c’était le paiement d’une créance; il confirmait done notre droit de réclamer l’exhibition du pactum.
C’est une imprudence, je pense, qui a été commise par mon honorable contradicteur, puisqu’après avoir proclamé le principe que nousmêmes nous invoquons, il a négligé de s’y conformer.
S’il y avait un adage qui pouvait être invoqué de ce côté ci de la barre, c’était bien celui-là. En effet, vous vous souvenez du traité de Guadalupe Hidalgo intervenu entre le Mexique, d’une part, et les Etats-Unis d’autre part; aux termes de ce traité, les deux Etats, qui avaient à régler, comme le disait hier si justement M. Descamps, les conséquences du démembrement à donner la solution aux différents problèmes qui en étaient la consequénce; aux termes de ce traité il a été dit: Décharge réciproque est donnée, non seulement d’un Etat à l’autre, mais même des eitoyens américains vis-à-vis du Gouvernement mexicain. Et l’honorable M. Penfield ajoutait que si des actes meme [Page 822] arbitraires avaient été commis par le Gouvernement mexicain comme tel vis-à-vis de ses sujets devenus depuis lors sujets américains, les Etats-Unis ne pouvaient pas en demander compte aujourd’hui au Gouvernement de Mexico. De telle façon, messieurs, que le traité de 1848 contenait une décharge absolue.
Le traité du 4 juillet, 1868, confirmait ce caractère du traité de 1848; il disait que si une commission était instituée, c’était uniquement pour régler les “injuries,” les dommages qui auraient pris naissance postérieurement à ce traité de 1848.
Done, messieurs, s’il y a une des parties qui ait le droit de dire “Pacta servanda,” c’est assurément le Mexique, qui a traité, qui a régié les conséquences du démembrement, qui a fait le pacte devant, dans la pensée des deux parties, être définitif, et sur lequel aujourd’hui cependant on veut revenir.
Il y a plus. Les demandeurs, après le traité de 1848 et après la convention de 1868, lorsqu’ils ont voulu présenter leur réclamation actuelle à la Commission, pour le rendre recevable, et pour ne pas se heurter au texte de ces deux traités, ont dû recourir à un expédient. Ils se trouyaient devant un traité qui disait: décharge, quittance absolue pour tous les faits antérieurs; aussi, alors qu’ils avaient présenté leur réclamation comme ayant pour objet un capital, e’est-à-dire le Fonds de Californie, ils ont recouru ensuite à un expédient et ils ont dit: nous ne demandons que des intérêts; des interets, c’est chose postérieure au traité puisqu’ils sont échus postérieurement à 1848.
Le Mexique a répondu que c’était là un expédient et que si on ne réclamait plus que les intérêts, c’était uniquement pour échapper aux conséquences du traité de 1848; des intérêts ne peuvent pas exister sans un droit préexistant, sans un droit perpétuel.
Cette réponse, messieurs, se trouve dans le mémoire de M. Aspiroz, présenté à la Commission mixte en 1869 et relaté dans le livre rouge.
Le surarbitre, l’honorable Sir Thornton, de même que tous les conseils des parties ad verses en 1869, se sont abstenus de demander la consécration d’un droit préexistant et perpétuel, parce que c’était se heurter à cette fin de non recevoir résultant du traité de 1848 que j’indiquais tout à l’heure. Ils ont eu recours à cette habilité de formuler une demande d’intérêts en f eignant de croire que cette demande ne créait pas un droit préexistant.
Aujourd’hui cependant vous savez ce qu’on plaide; M. le Chevalier Descamps vous a dit à la précédente audience: des intérêts supposent un droit préexistant, il n’y a pas de génération spontanée d’intérêts; et il en concluait que nécessairement Sir Thornton avait dû proclamer le droit preéxistant auquel les adversaires se défendaient de prétendre en 1868.
Voilst l’expédient qui a réussi en 1868; mais aujourd’hui lorsque—si je puis me servir de cette expression—la mèche est éventée, lorsque nous voyons le moyen à l’aide duquel vous voulez échapper à la fin de non récevoir resultant du traité de 1848, alors que vous disiez: “il n’y a pas de droit préexistant” et qu’aujourd’hui vous venez dire reprenant notre objection d’alors: “s’il y a des intérêts il y a un droit préexistant et il y a chose jugée,” n’avons-nous pas le droit de dire lorsque nous montrons votre attitude: Pacta servanda?
Si mon honorable contradicteur, M. Descamps, a cité cette parole, c’était pour en arriver à dire qu’il invoquait la bonne foi. Je m’étais proposé de relever cette parole dont peut-être la susceptibilité du [Page 823] Gouvernement mexicain aurait pu se plaindre; mais le très honorable M. Penfield est venu à ce point de vue, par l’hommage qu’il-a rendu au Gouvernement mexicain me dispenser de relever ce qui a été dit à ce sujet.
Messieurs, vous l’avez entendu, M. le Sénateur Descamps ne veut pas de l’Histoire. Il nous a dit cependant, et nous le savions, qu’il connaît très bien l’Histoire qui fait partie de son enseignement.
Or, nous démontrons que notre reclamation a pour elle le jugement des siècles et de l’Histoire. Je croyais que c’était un argument qui avait quelque valeur. J’ai cité ces faits précis, des dates, des événements politiques, et mon honorable contradicteur, qui connaît très bien tous ces faits, se borne à nous répondre: Ne parlons pas de l’Histoire - - - - - - Je comprehds.
M. Penfield, qui lui aussi connaît l’Histoire, avait été frappé d’une sorte de défi, que je lui avais porté au commencement de ces débats en disant: n’oubliez pas que si la Cour d’Arbitrage allait adopter votre théorie la situation serait la même en Prusse au sujet de l’Alsace-Lorraine; et j’avais indiqué qu’à mon sens cette comparaison mûrie devait avoir son importance et constituait un argument. M. Penfield nous dit: Ne mêlons pas des cas différents, ne faisons pas de comparaisons, chaque fait doit être examiné isolément. Et cependant, messieurs, par ce qu’il dit dans la suite on constate qu’il a bien voulu voir de près quelle était la valeur de cette comparaison; il nous dit: Les cas ne sont pas les mêmes, il y a deux différences. La première différence, dit-il, c’est que c’est la France, c’est-à-dire le pays à qui on a enlevé un territoire, qui a payé une indemnité de 5 milliards, tandis que dans notre cas c’est le pays à qui on a enlevé un territoire que recoit une indemnité de 15 millions de dollars.
Qu’est-ce que cela fait? Il y a eu un règlement financier entre les deux Etats, ce règlement s’est terminé par un déficit ou par le paiement d’un excédent, qu’importe?
La seconde différence, dit-il, c’est que dans le traité de Guadalupe Hidalgo, dans le dernier article, il est dit que les deux nations respecteront les droits de propriété de leurs citoyens nouveaux, c’est-à-dire que les Etats-Unis respecteront les propriétés des anciens citoyens mexicains.
Eh bien, est-ce que par hasard l’Allemagne et la France avaient besoin d’inscrire dans le traité qu’elles respecteraient les droits de propriété des particuliers?
Ce sont là toutes les différences que vous avez citées. Est-ce que dans ces conditions je ne puis pas dire que la comparaison que j’avais produite a toute sa force et toute sa valeur, et qu’après ces débats il est impossible que vous ne disiez pas: il y a eu en Alsace-Lorraine des Jésuites, qui là n’avaient qu’une préoccupation religieuse, il y a eu confiscation de leurs biens par Louis XV en 1863, les souverains ont dit: nous confisquons, nous nous approprions, sous réserve des charges, ou de l’entretien du culte, ou des obligations.
Jamais, malgré cela l’Eglise n’a rien demandé; et aujourd’hui si les évêques obtenaient leur jugement dans le sens qu’ils sollicitent, on pourra dire: Mais l’Alsace-Lorraine a été conquise, le Gouvernement f raneais s’est approprié autrefois les fonds des communautés religieuses, il y a là une situation identique, et cette comparaison avec des situations qui nous sont plus familières ne nous montre pas le caractère de la prétention.
[Page 824]Mais, messieurs, si M. Descamps ne veut pas du jugement de l’Histoire il ne veut pas davantage du droit. Le droit est une notion qui lui est cependant très familiere comme elle l’est à M. Penfield; cependant l’un et l’autre de mes honorables contradicteurs vont vous dire; ne tenez pas compte du Dro t.
M. Descamps vous dit: pas de droit, pas de loi positive, pas de loi mexicaine, parce qu’il y a le droit international public et le droit international privé.
Tout d’abord, quelles sont les dispositions de droit international public ou de droit international privé qu’il faut appliquer? Ce n’eût pas été indiscret d’espérer qu’il nous l’eussent dit, parce que ce n’est pas par des mots que l’on écarte des arguments, et surtout des arguments de cette valeur - - - - - - -
M. Descamps. Le respect des contrats en vers les étrangers.
M. Delacroix. Je vais y venir.
M. Descamps nous dit qu’il nous oppose le droit international public et le droit international privé; permettez-moi de vous dire ceci: pas l’un et l’autre, n’est-ce pas? l’un des deux!
M. Descamps. Si, si, les deux!
M. Delacroix. Les deux?
M. Descamps. Absolument!
M. Delacroix. Alors, vous allez done demander à la Cour de dire à la fois que les rélations qui nous regissent sont des relations de droit public, des relations de nation à nation, des actes souverains que vous allez apprécier et viser, et en même temps que c’est une créance dont vous réclamez le paiement, droit positif, droit civil?
L’application du droit international public suppose un conflit entre deux Etats, et une discusion d’actes souverains. C’est ce’principe qu’a développé M. Penfield, je vais y venir, je ne demande pas mieux que de vous suivre sur ce terrain et de demander à la Cour de régler notre cas suivant les dispositions du droit international public.
Mais mon honorable contradicteur a ajouté: droit international privé; et il devait le dire, puisqu’il demande le règlement d’une créance, d’un droit civil. Comment dès lors serait-il possible que vous fassiez application du droit international public?
Mon adversaire dit done: droit international privé. Le droit international privé n’est pas un code universel, des règles uniformes pour tous les eitoyens de tous les Etats. Le droit international privé est chargé de déterminer quelle es la loi positive de chaque pays qui sera appliquée à propos de chaque cas.
Ainsi, messieurs, s’il s’agit de la forme de l’acte, le droit international privé nous apprend que la loi appliquée est la loi “locus regit actum,” la loi du lieu, c’est la loi nationale. S’il s’agit au contraire de la capacité, c’est le statut personnel, c’est la loi de la personne, avec certains tempéraments d’ordre public sur lesquels il y a de nombreuses controverses et de nombreuses discussions. S’il s’agit d’immeubles, de biens ou de droits immobiliers, c’est la loi du lieu où se trouve l’immeuble. Voilà ce que nous apprend le droit international privé.
Par conséquent, mon honoré contradicteur, il ne suffisait pas de nous jeter à la face les mots droit des gens, droit international public, droit international privé, il fallait préciser quelle était la disposition législative qui m’empêchait de produire tel ou tel argument.
En réalité, si l’on invoquait ces mots c’était pour vous dire qu’il n’y avait pas de droit à appliquer, et l’on vous demandait de proclamer [Page 825] dans la première sentence rendue par une Cour d’arbitrage que la Cour d’arbitrage doit faire abstraction de l’existence d’une créance.
Ce que l’on vous demande, done, c’est de vous lancer dans l’arbitraire auquel on donne le nom d’équité.
M. Penfield a cru devoir, lui aussi, aborder cette question dont l’importance n’a pas échappé à cet éminent jurisconsulte; il nous a dit: il peut y avoir un conflit entre un particulier et un Etat qui soit régi par les regles du droit international public, parce que ce particulier ayant subi un dommage de la part d’un Etat peut trouver bon de s’adresser à son Gouvernement et d’être représente par lui.
La thèse ainsi formulée est absolument juridique et nous n’y contredisons pas. L’exemple qu’a cité M. Penfield est parfaitement exact: Voici qu’un chef militaire qui a la juridiction dans une colonie, ordonne qu’il faut prendre ou décapiter un justiciable, alors que ces procédés sont trop sommaires et que cette justice est trop expéditive; cependant c’est la justice, c’est l’exercise du pouvoir souverain; le cas s’est présenté entre le Congo et l’Angleterre, à propos d’un officier congolais, M. Lothaire, qui aurait rendu une justice un peu sommaire vis-á-vis d’un suget anglais; le Gouvernement de l’Angleterre adit: c’est peut-être un acte souverain, mais c’est un acte souverain á raison duquel je demande une réparation. Messieurs, la réclamation était: il y avait là un acte souverain, dit arbitraire, contre lequel on s’élevait.
Cela peut se produire aussi même à propos d’une loi. Je suppose que dans un pays on prenne une loi arbitraire en vue de frapper un étranger ou une catégorie d’étrangers; le gouvernement, qui est préposé à la défense de ses sujets, meme résidant dans un autre territoire, pourra dire: c’est une loi arbitraire, et je soumets à un tribunal arbitral la question de savoir si cette loi n’est pas arbitraire; dans ce cas ce tribunal sera appelé à juger un acte souverain.
Tout ce qu’a dit à ce point de vue mon honorable contradicteur, M. Penfield, est parfaitement exact; seulement, comme il nous l’a si bien appris, il ne suffit pas d’une théorie, il faut faire l’application au fait. Qu’il nous dise done quelle est la loi, quel est le droit, quel est le code mexicain qu’il taxerait d’arbitraire et dont il demanderait l’écart des documents de la cause, ou qu’il taxerait d’arbitraire! Assurément il ne le dit pas!
Au contraire, Messieurs, maintenant que ces débats touchent à leur fin, que vous connaissez l’affaire dans tous ses détails, que vous connaissez la demande, vous savez que ce que l’on demande c’est la reconnaissance de l’existence d’une créance, d’un droit privé, d’un droit civil. Comment dès lors peut-on invoquer un tel droit sans le faire régler par le droit privé.
Les demandeurs, ce sont les évêques; tous les mémoires, tous les documents que vous connaissez indiquent que les évêques sont les véritables réclamants, que le Gouvernement n’est là que pour les assister; et c’est par une erreur évidente que mon honorable contradicteur, M. Penfield, vous disait que ce sont les Etats-Unis qui plaident.
Non, les Etats-Unis assistent les évêques. Ce n’est pas un dommage causé à un citoyen, dont on demande réparation; ce ne sont pas des dommages-intérêts que l’on demande, ce sont les évêques, qui se croyant fondés à réclamer le remboursement d’une dépense, le demandent avec l’assistance et l’appui de leur Gouvernement. Le texte de la convention de 1868 est décisif sur ce point. On nous dit: chose jugée entre les mêmes parties; or, qui est-ce qui pouvait comparaître en [Page 826] 1869 devant la commission mixte? Sont-ce les deux Gouvernements? Nullement! Le texte de la convention précise dans Particle 1er que la commission mixte est instituée pour juger les differends existants entre de citoyens de l’un des Etats et le Gouvernement de l’autre Etat; ce sont des réclamations de citoyens qui sont soumises à la commission mixte; et s’il s’était agi d’un conflit entre le Mexique et les Etats-Unis la commission mixte de 1868 n’aurait pu en connaître.
Si l’on invoque la chose jugée, on doit prétendre que le débat se décide entre les mêmes parties. Ce sont les évêques—et d’ailleurs aucune démonstration n’est nécessaire sur ce point—qui sont les demandeurs, et s’ils agissent comme créanciers c’est le droit international privé qui doit les régir.
J’ai été assez surpris d’entendre mes honorables contradicteurs vous dire en bloc: pas ae loi mexicaine à appliquer, pas de droit positif mexicain. Ils n’en veulent pas. D’autre part, lorsque nous leur demandons: quel est votre titre? Ils produisent des lois mexicaines, des décrets mexicains de 1836 et de 1842! Et je ne pouvais pas m’empêcher d’esquisser un sourire bien vite réprimé lorsque j’entendais mes honorables contradicteurs vous dire: d’une part pas de loi mexicaine, et d’autre…
M. Descamps. Pas d’empire absolu des lois mexicaines!
M. Delacroix. Pas de mots: des faits. Je vous réponds par un exemple: nous avons invoqué la loi de prescription quinquennale; c’est une disposition inscrite, je crois pouvoir l’aflirmer, dans toutes les législations; lorsqu’il s’agit de prestations périodiques, de sommes dues par année, le créancier a le devoir de ne pas laisser s’écouler une période de plus de cinq années sans réclamer, sous peine de voir son droit compromis. Je suis convaincu, bien que je ne la connaisse pas, que cette disposition doit se trouver également dans la législation des Etats-Unis; elle se trouve dans le Code mexicain de 1870 comme dans le Code de 1895; c’est une disposition qui s’est trouvée dans le Code du Mexique dès qu’il en a eu un.
On nous a demandé quel était ce Code; nous avons répondu que c’était le Code du district fédéral de Mexico, parce que toutes les réclamations adressées à l’Etat sont jugées à Mexico et pas conséquent, suivant la loi de ce district fédéral; nous avons ajouté que la Basse Californie ne constituant pas un Etat distinct selxouve nécessairement régle aussi par cette loi du district fédéral. Mes honorables contradicteurs comprendront cela très bien puisqu’ils ont la même chose aux Etats-Unis: il y a des territoires qui ne constituent pas des Etats distincts. La situation est la même dans la Basse Californie, et c’est pourquoi les règles du district fédéral de Mexico lui sont applicables.
Je vous disais done que c’est un principe inscrit dans toutes les législations. Il est juste d’ailleurs, et tous les auteurs, tous les commentateurs vous disent que ce serait réserver au créancier de ruiner son débiteur si le créancier pouvait laisser son débiteur dans l’insouciance, dans l’ignorance peut-être de son obligation, et si à un jour donné, après vingt ou trente ans il pouvait lui dire: vous me devez des sommes considérables par l’accumulation des intérêts arriérés.
Aussi, messieurs, toutes les législations disent que le créancier doit être suffisamment vigilant pour ne pas laisser accumuler plus de cinq ans d’intérêts. C’est juste, c’est légitime, et c’est parce que c’est juste et légitime que c’est inscrit dans le Code Mexicain.
Nous demandons l’application de cette notion élémentaire à la cause [Page 827] actuelle, nous disons: tout au moins depuis 1870 jusqu’a 1891 vous n’avez rien réclamé dès lors la prescription s’impose, elle s’impose qu’il y ait ou non chose jugée, puisque même l’existence d’un titre définitif n’empêche pas la prescription de s’opérer. C’est une notion elementaire. Lorsque nous en demandons l’application, M. le chevalier Descamps nous répond: Pas de loi mexicaine, droit international.
Mais, ne sentez-vous pas que vous devriez, pour invoquer le droit international, établir que la loi dont je demande l’application est une loi arbitraire, que cette loi a été faite pour atteindre certains de vos citoyens et qu’elle se trouve en conflit avec votre législation? Mais, si elle est inscrite dans votre législation comme dans celle de toutes les nations, qu’est-ce qui vous autoriserait à dire qu’elle est arbitraire et à demander au nom du jus gentium, du droit international, qu’on écartât l’application.
L’objection, la seule qui était à faire, était celle-ci: la prescription a été interrompue et par conséquent il y a une période d’intérêts qui est due malgré la prescription, on nous aurait dit: Notre Ministre s’est adressé à votre Gouvernement par une lettre de 1891. Nous vous aurions repondu en vous disant: l’article 1232 du Code dit comment la prescription est interrompue: elle l’est par une demande judiciare ou par une citation en conciliation, cela n’existe pas dans l’espèce, et par conséquent à ce point de vue la prescription ne se trouve pas atteinte.
Il y a un autre exemple que je pourrais citer; je le puiserais dans ce qu’on a appelé la loi de prescription. Voici qu’en 1857 ou 1859 une loi est prise par le Gouvernement mexicain, une loi radicale, une loi qui interdit à toute autorité religieuse, soit séculière soit régulière, de posséder sur son territoire, qui lui enlève toute notion de personalité civile. Vous pourriez dire: c’est trop radical; vous pourriez essayer de démontrer que cette loi a été prise en vue de froisser les intérêts de vos citoyens et en rejeter l’application au point de vue du droit international public. Mais si je vous démontre qu’elle a été prise en vue de l’intérêt général, à raison des circonstances, de ce que l’on considérait, comme l’ordre public au Mexique, est-ce que vous direz encore que cette loi est arbitraire?
Mais, vous ne l’aliéguez même pas, vous ne le prétendez pas. La loi a été votée à une époque où votre réclamation n’était pas encore formulée et ou assurément le législateur n’avait pas pu s’en préoccuper. Done, elle n’est pas arbitraire.
Vous dites: droit international privé. Ah! ici, vous auriez pu en demander l’application, vous auriez pu dire: Mais cette loi règle la capacité des personnes, et comme elle règle la capacité des personnes elle ne peut pas nous être appliquée à nous étrangers. Alors, nous aurions discerté au point de vue du droit international privé si on peut appliquer une loi de capacité aux étrangers lorsqu’elle affecte l’ordre public national; nous aurions examiné si par exemple lorsqu’en France on éioigne les congrégations religieuses il serait permis à une congregation étrangère de s’y introduire en disant: C’est mon statut personnel ont je demande l’application. Nous aurions vu que lorsqu’il s’agit d’une disposition d’ordre public elle est applicable sur tout le territoire aux étrangers comme aux nationaux. Mais on ne nous a rien précisé à cet égard.
D’ailleurs c’est à ce point de vue que nous avons indiqué que la prétendue dette qui est rédamée avait une origine immobilière, que c’était [Page 828] la représentation d’immeubles, représentation ay ant lieu dans la thèse des adversaires par une rente hypothécate, garantie par le produit de l’impôt des tabacs.
Dès lors, d’après le droit international privé, cette loi devait être applicable, parce que ce que l’on demandait c’était un droit réel et un droit réel est nécessairement régi par le droit national.
Mais, messieurs, si mon honorable contradicteur M. Descamps, n’aime pas l’Histoire, s’il ne veut pas du droit il ne veut pas davantage de la jurisprudence. J’avais fait, et je m’en excuse, un peu de jurisprudence, j’avais cité un jugement espagnol relatif à la succession Arguelles; je vous avais montré que la question posée à la Cour par les demandeurs avait été résolue contre eux sans protestation de l’Eglise au siécle précédent. Lorsque les Jésuites avaient été expulsés, la question de leur hérédité s’était trouvée ouverte précisément à propos d’une succession non encore liquidée dont l’attribution leur appartenait; la question de savoir si c’était l’Eglise ou l’Etat qui devait hériter d’eux avait été soumise aux juridictions espagnoles d’alors et par une sentence solennelle du Conseil des Indes du 4 juin 1783 on avait décidé que le Roi y avait non seulement un droit trustee mais un pouvoir discretionnaire. On décidait que ces biens seraient “à son souverain plaisir.”
C’était une jurisprudence qui méritait un peu d’attention; on a passé, et conséquent, l’argument conserve toute sa force.
Mais mon honorable contradicteur, M. Penfield, a estimé qu’il était impossible qu’il ne vous dît pas un mot d’une autre jurisprudence que j’ai citée: il s’agit du cas Nobile contre Redman. M. Penfield a dit: Je fais une objection, vous invoquez une autorité américaine, une décision de la Cour Suprême de Californie, et vous venez dire que la question actuelle a été décidée par cette autorité respectable d’Amérique contre nous. Mon objection, dit-il, est celle-ci: c’est que dans une autre effaire le même cas a été soumis à la Cour Suprême des Etats-Unis et a été résolu dans mon sens; par conséquent il y a deux décisions américaines et la Cour arbitrale est libre de choisir entre elles.
J’avais indiqué l’objection, mais que fallait-il répondre? Je me trouvais devant deux décisions américaines d’une importance considérable, je trouvais dans le pays de mon honorable contradicteur la question résolue contre sa thése; et puis je trouvais une décision en sens contraire. J’ai fait alors ce que commandait la situation: j’ai analysé la procédure des deux cas et j’ai démandé a la Cour d’examiner les raisons qui ont déterminé l’un et l’autre juge; vous vous trouvez devant deux jugements américains; il faut dire quel est le bon.
M. Penfield nous dit: le meilleur, c’est celui de la Cour Suprême des Etats-Unis. Je pourrais lui répondre: le meilleur c’est celui de la Cour Suprême de Californie, qui mieux que toute autre connaît les situations de fait et peut les apprécier. Mais je ne demande pas à la Cour de peser ces deux autorités, je lui dêmande de seruter ces deux décisions, de les lire et de voir celle dont la dialectique lui apparaît decisive.
Je vous avais dans ce but analysé dans une précédente audience le mémoire—ce que j’appellerais les conclusions—de celui qui défendait alors la thése que j’ai l’honneur de défendre aujourd’hui devant vous; je vous ai montré par quel le série de documents, de décrets successif s, etablissait que non seulement l’Eglise n’àvait pas capacité de recevoir et n’avait pas de droit, mais que d’autre part le souverain seul s’était [Page 829] toujours considére comme le maître de ces biens. La conclusion me paraissait décisive.
Aujourd’hui, je vous dis: faites le parallèle, voyez l’autre décision; elle se trouve reproduite dans le livre rouge à la page 586, elle se trouve citée dans le mémoire deM. Doyle, c’est l’affaire Terrett contre Taylor.
Je vous indique immédiatement que dans ces décisions la question qui a été examinée était celle-ci: L’on ne discute plus, ou on ne discute guère le point de savoir si l’Eglise a un droit, on le suppose, mais, dit-on, le problème à résoudre est celui de savoir si un démembrement, une révolution, une dissolution d’Etat peut enlever le droit du précédent propriétaire. Ainsi posée, messieurs, la question ne pouvait avoir qu’une solution. On suppose que l’Eglise a un droitf et on se dit, est-ce que le fait que la Californie, par conséquent l’Eglise Californienne, a été démembrée, divisée, cela lui enlève les droits qu’elle pouvait avoir jadis? Mais, il est évident que non. Je lis le finale de cette décision qui se trouve à la page que je viens d’indiquer:
La dissolution de la forme du Gouvernement n’entraine pas la dissolution des droits eivils ou une abolition de la common law qui régit la question des héritages dans chaque pays. L’Etat lui-même n’a fait que succéder aux droits de la couronne. On a affirmé comme principe de common law que le partage d’un empire n’entraîne pas la déchéance des droits de propriété précédemment acquis, et cette maxime est également concordante avec le”bon sens de l’humanité et les maximes de la justice éternelle.
C’est évident, messieurs; mais nous ne discutons pas cette question ici; nous n’avons jamais prétendu que l’Eglise, représentée par mes honorables contradicteurs, aurait perdu ses droits par la conquête; l’autorité de la Cour Suprême est done entière. Mais, ce qu’il aurait fallu démontrer, c’est que la Cour Suprême des Etats-Unis aurait rencontré les différents arguments qui ont été développés dans l’affaire Nobile contre Redman et aurait combattu la solution donnée par la Cour Suprême de Californie. Les questions résolues étaient différentes, et par conséquent notre argument capital consistant à dire que la thèse présentée par les Etats-Unis a été condamée, dans leur propre pays par des Américains, par la justice américaine, conserve toute sa valeur et n’échappera pas assurément à l’attention de la Cour.
Dans le commentaire de cette décision de l’honorable M. Doyle notamment aussi dans son mémoire (page 90 du livre rouge) nous trouvons cette idée: aucune conquête, aucune révolution, aucun acte souverain n’a pu enlever à l’Eglise ce qui était sa propriété. Il posait cette prémisse: l’Eglise était propriétaire. C’était sa première prémisse; je ne pense pas qu’il l’ait démontrée, et sur ce point je m’en référa a de précédentes explications.
Mais sa seconde prémisse était celle-ci: Si l’Eglise était propriétaire, ni une conquête, ni une révolution, ni un acte souverain n’a pu lui enlever cette propriété, done elle ‘la encore aujourd’hui.
Comme j’ai trouvé cette notion indiquée également dans la plaidoirie de l’honorable M. Descamps, je me permets d’y insister un moment.
Je raisonne d’abord en m’appuyant sur Pargumentation qui a été fournie par M. Penfield. M. Penfield sur ce point a victorieusement combàttu M. Descamps. D’après M. Penfield l’acte souverain accompli par l’Etat mexicain vis-à-vis d’un citoyen mexicain, fût-il arbitraire, devrait encore imposer le respect de mes honorables contradicteurs Vous vous souvenez de cette parole de M. Penfield, elle est juste, elle est juridique, et elle est importante parce qu’elle condamne tous les [Page 830] arguments qui ont été presentés de l’autre côté de la barre et notamment ceux de M. Doyle.
Je suppose que M. le Président Santa Anna, en 1842, à cette période de révolution mexicaine, eût accompli un acte arbitraire, un acte in juste, un acte de spoliation; je suppose qu’il ait enlevé à l’Eglise, par une haine cléricale ou par d’autres considérations, ce qui était son bien. M. Doyle dit: l’acte est nul, l’usurpation ne peut pas enlever un droit. Je réponds avec M. Penfield; si même cela était, comme ce serait un acte souverain du Gouvernement mexicain vis-à-vis de sujets mexicains, les évêques des Etats-Unis de 1848 ou de 1850 ne pourraient pas critiquer cet acte et en demander la réformation par un Tribunal international. Il s’agit d’un acte souverain, accompli par un Etat souverain, vis-à-vis de ses sujets, il n’y a pas à le discuter, il n’y a qu’ à l’accepter.
Non seulement cette notion se trouvait dans la plaidoirie que vous avez entendue hier de M. Penfield, mais elle se trouve également dans une des brochures de M. Ealston, cette notion ne peut pas être contestée.
Je dois ajouter que je ne puis pas considérer comme un acte d’usurpation, de spoliation, l’acte qui aurait été accompli dans les circonstances que je viens d’indiquer.
M. Descamps vous a dit que la thèse que j’avais présentée aurait eu cette conséquence de permettre à l’Etat de s’approprier tous les biens des personnes civiles; il a dit que la thèse que j’avais développée enlevait toute sécurité aux personnes civiles. Vous me permettrez de rectifier: Lorsqu’il s’agit d’une association commerciale, d’un être juridique composé de personnes qui apportent leurs droits individuels pour les mettre en commun sous une fiction, sous une entité juridique distincte, lorsque cette entité juridique vient à disparaître, lorsque l’Etat qui lui a donné naissance vient à lui enlever l’existence, les biens qui appartenaient à cette entité et qui avient leur support primitif dans le chef d’individu doivent être partagés à la dissolution entre ceux qui composaient cette association, et par conséquent ces eitoyens conservent leurs droits.
Mais, messieurs, tout autre est le caractere d’une communaute religieuse, d’une association de bienfaisance, ou d’un établissement qui a un but de service public ou d’utilité publique. Lorsqu’on donne pour une institution charitable, dans ce cas la disposition est faite à une collectivité, c’est-à-dire à une partie de la nation c’est done toujours la nation elle-même que représente ce droit, qui en est le support primitif et dès lors lorsque ce corps spécial de la collectivité, cette émanation de la nation a cessé d’exister, c’est évidemment l’Etat souverain qui reprend ce qu’il avait concédé.
Done, messieurs, ici pas de spoliation, pas d’usurpation; y eût-il eu même spoliation, comme je l’ai dit, que ce ne serait pas critiquable. Mais j’ai tenu à rectifier ce que m’avait imputé l’honorable M. Descamps.
Vous vous trouvez done devant des actes souverains et des appréciations souveraines de tribunaux américains; mes honorables contradicteurs ne pourront jamais en vouloir aux honorables membres de la Cour d’arbitrage s’ils n’adoptent pas leur maniére de voir puisque c’était celle qui était partagée par leurs concitoyens et par ceux qui sont appelés chez eux à rendre la justice et à dire le droit.
On a parlé, messieurs, d’une notion dont on a abusé, et cependant je n’y insisterai pas; on a dit que nous n’avións pas compris la signification [Page 831] qu’eux-mêmes donnaient au mot trust, que c’était une notion qui noús échappait.
Messieurs, lorsque j’ai eu l’honneur d’être chargé de prendre la parole devant votré Cour, sachant que je pouvais avoir à discuter des législations étrangères qui ne m’étaient pas familières, je m’étais promis de ne pas abuser des mots, de rechercher plutôt la notion juridique que les qualifications juridiques qui peuvent varier d’Etat à Etat.
Ici, je le demande à mes honorables contradicteurs qui ont parié de trust: au profit de qui le trust aurait-il été constitué? Est-ce au profit de l’Eglise? Alors vous devez soutenir que l’Etat aurait été le trustee de l’Eglise, que l’Etat au lendemain de la suppression des Jésuites aurait occupé le bien pour l’Eglise. C’est une demonstration qui vous reste à faire.
Mais, messieurs, en tout cas, est-ce que cela ne revient pas toujours au même? Les adversaires doivent établir quel est leur droit, fût-ce le droit de trustee; il faut toujours que ce contrat, que nos l’appelons mandat, trust ou propriété vous donne un titre, il faut toujours que vous établissiez votre titre, quel que soit le contrat que vous invoquiez.
J’ajoute, messieurs, que cette notion n’est pas exacte, parce que si nous remontons à l’origine nous voyons que les donateurs disposent d’une manière absolue au profit des Jésuites ils leur donnent des pouvois tels qu’ils n’auront à rendre compte qu’à Dieu. N’est-ce pas au point de vue civil l’abandon le plus absolu? Ne devoir rende compte qu’à Dieu c’est le droit absolu de disposer sur terre, c’est ce que nous appelons dans notre Code Civil le droit de propriété.
Nous aurions, nous Etat, succédé aux Jésuites, et vous l’admettez: nous aurions done succédé dans ce que vous appelez un trust, élargissant singulièrement la signification du terme; alors je dois avoir le même pouvoir. Et comment, si dans l’intention des donateurs primitifs il n’y apas à côté des Jésuites quelqu’un qui puisse revendiquer un droit civil à l’encontre du leur, comment existerait-il aujourd’hui quelqu’un qui puisse revendiquer un droit civil à l’encontre de l’Etat?
Done, messieurs, cette notion n’a qu’une importance bien secondaire et c’est à tort que M. le Chevalier Descamps nous a reproché de ne l’avoir pas comprise.
Au point de vue de la jurisprudence, j’avais fait une troisième citation, et ici les reproches qui m’ont été adressés ont été durs. J’avais parié du procès de la Marquise de la Torres del Rada; pourquoi en avais-je parlé?
Parce qu’il se fait que les demandeurs ne produisent qu’un seul document en vue d’etablir leur droit au Fonds Pie de Californie. Ce document est un acte de donation que aurait été fait par le Marquis de Villapuente en son nom et au nom de son épouse, la Marquise de la Torres del Rada, c’était done le document capital. Et voici, messieurs, que dans le livre rouge nous trouvons qu’un premier jugement de 1749, un second jugement de 1823, ont annulé l’effet de cette donation dont ils se réclament, et que ces décisions se trouvent passées en force de chose jugée!
Dès lors, il était nécessaire que vous connussiez la procédure qui avait précédé ces jugements, ou que tout au moins vous eussiez une notion du procès qui était engagé. Ces décisions sapent par la basse la réclamation faite de l’autre côté de la barre.
Il y avait un Fonds Pie dont on demande aujourd’hui la restitution. [Page 832] Je vous ai dit que ce Fonds Pie se composait de deux parties, d’une part, d’immeubles, de créances hypothécates; d’autre part, de créances chirographaires; je vous ai montré que la première partie de ce Fonds Pie était productive d’intérêts et que la seconde ne l’était pas. J’ai sur ce point fourni des indications qui étaient appuyées sur l’inventaire fait par Don Raminez elles n’ont pas été rencontrées. Je m’attendais à ce que mes honorables contradicteurs mettraient en rapport ce que j’avais dit, les citations que j’avais prises dans l’inventaire Ramirez, avec leur prétendu titre, c’est-à-dire avec les décrets mexicains de 1836 à 1845. C’eût été un travail intéressant; mais puisqu’il n’a pas plu à mes honorés contradicteurs de le faire, comme je veux être complet, la Cour me permettra de lui demander dix minutes de son attention pour le faire.
Les demandeurs s’appuient principalement sur le décret du 24 octobre 1842 pour y puiser un titre; ils vous disent que par ce décret l’Etat mexicain aurait fait un abandon ou une reconnaissance à leur profit, c’est-à-dire au profit de l’Eglise. Nous avons examiné ce point, nous avons indiqué qu’il était inconcevable que ce fût précisément au moment de la Révolution mexicaine que je caractérisais tout à l’heure et qui avait été caractérisée par M. Penfield avant moi, pendant cette période de trouble où un vent anticlérical soufflait au Mexique, que l’Etat souverain se fût dépouillé au profit de l’Eglise, alors qu’il ne l’avait pas fait jusque-là.
Mais voyons ce décret, il dit (page 469 du livre rouge):
Article ler: Les biens urbains et ruraux, les dettes et créances ainsi que toutes autres propriétés appartenant au Fonds Pie de Californie sont incorporés au Trésor public.
Déjà, il est assez bizarre de voir les demandeurs se fonder sur un titre qui a précisément cet effet radical d’incorporer au Trésor les biens urbains et ruraux, les dettes créances ainsi que toutes autres créances et propriétés.
Continuons:
Le Ministère de la Trésorerie procéderà la vente des biens urbains et ruraux et autres proprétés appartenant au Fonds Pie de Californie pour un capital représenté par un revenu annuel capitalisé à 6 pour cent l’an.
Dans ce second article on ne répète plus les mots “dettes et créances” qui se trouvaient dans le premier; dans ce second article, lorsqu’il s’agit de dire ce qui va être vendu on dit: les biens urbains et ruraux et autres propriétés.
Ce décret étant indiqué, nous reprenons la division que je signalais tout à l’heure. La première part, ce sont des immeubles, des créances hypothécates, c’est un produit annuel. Le décret dit: il faut les vendre, le prix sera incorporé au Trésor et j’affecterai 6 pour cent à des buts que je caractériserai tout à l’heure.
Mais l’autre partie, les dettes d l’Etat’ est-ce que le décret dit qu’il faut les vendre? Où le voyez-vous? Est-ce que vous concevez d’abord cette notion d’un Etat qui est lui-même débiteur et qui irait décider qu’il faut mettre en vente sa propre dette, qui irait dire qu’il ca payer 6 pour cent du produit de cette dette annuelle, c’est-à-dire que la vendant il s’engagerait à payer 6 pour cent?
C’est une notion inadmissible de concevoir que l’Etat aurait décrété qu’il fallait vendre sa propre créance; il était à la fois le créancier et le débiteur.
[Page 833]Lorsque je vais vous indiquer les chiffres cela va vous paraître encore plus évident.
Le Fonds Pie, d’après Don Ramirez, se composait d’abord d’un revenu de 32,255 piasters, ce qui à 6 pour cent fait 537,000 piasters, dont j’ai déduit les 145,000 piastres payées aux Philippines; il restait done 392,000 piastres. Voilà ce qui était la part immobilière, la part productive.
Il y avait aussi la partie “créances,” qui représente d’après M. Doyle (p. 193)—1,100,000 piastres, dont moitié—soit 550.000 piastres, est représentée par des intérêts arriérés. Eh bien, voyez-vous l’Etat, qui n’aurait pas payé ces intérêsts arrieres décidant de mettre en vente cette dette consistant en des intérêts arriérés pour en payer 6 pour cent.
De telle façon, messieurs, qu’alors que Sir Thornton dit qu’on ne peut pas rédamer les intérêts des intérêts, l’Etat se serait engagé à payer dans l’avenir 6 pour cent d’intérêt sur les intérêts arriérés!. . . . . . Il faut avouer, messieurs, que e’eût été une interprétation assez extraordinaire du décret, surtout si l’on songe qu’il émane de quelqu’un qui n’avait pas de tendance à faire de tels eadeaux à l’Eglise.
Il y a plus. Il y avait de mauvaises dettes, vous en connaissez la nomenclature; elles n’avaient jamais rien produit. Et l’Etat cependant aurait décidé non seulement de vendre ces mauvaises créances, mais il les aurait rachetées au pair, et il se serait engagé lui Etat à payer perpétuellement 6 pour cent sur ces mauvaises dettes qui ne valaient rien, qui ne produisaient rien!
Messieurs, l’application même du titre qu’invoque mon honorable contradicteur, e’est-à-dire du décret du 21 octobre 1812 à ce Fonds Pie, démontre que son interprétation est absolument inadmisible.
L’Etat aurait pris l’engagement de payer perpétuellement 6 pour cent d’un capital qui ne produisait rien, à concurrence de 1,100,000 piastres. Non, messieurs; je touche à la démonstration par l’absurde, et j’aurais tort d’insister.
Il faut cependant que l’on nous dise de plus près comment les demandeurs comprennent le décret de 1812. Vainement jusqu’ici nous avons demandé à sos honorés contradicteurs de nous fournir une indication nette, elle ne se trouve dans aucun de leurs nombreux documents, je vais vous dire pourquoi, et j’en arrive ainsi à la lecture du décret du 3 avril 1815. Ce décret dit:
Le Congrès a adopté et le pouvoir exécutif a ratifié ce qui suit:
Toutes les sommes dues et les autres propriétés appartenant au Fonds Pieux de Californie qui pourraient être actuellement non vendues seront dorénavant restituées à l’évêque de ce siège et à ses successeurs, pour réaliser le but mentionné à l’article 6 du décret du 19 septembre 1836.
Si ce décret doit être interprété dans la vue d’une attribution des créances aux évêques, ce sont les créances non vendues, qui leur sont attribuées pour ce qu’elles valaient; et non pas un intérêt de 6 pour cent; ces créances en capital vous les avez demandées d’abord en 1859, puis en 1870, mais lorsque vous avez senti que vous vous heurtiez à une fin de non recevoir dérivant du traité de Guadalupe Hidalgo vous y avez renoncé, et aujourd’hui encore pour échapper à cette fin de non recevoir vous ne demandez que des intérêts.
En supposant que le décret de 1815 ait voulu dire “En ce qui concerne les biens vendus je vous donnerai 6 pour cent et en ce qui [Page 834] concerne les biens non vendus je vous les donnerai,” il n’a pu dire qu’une chose: Je vous les donnerai tels qu’ils sont, je vous les donnerai en capital.
Cela, vous n’osez pas le demander parce que vous vous heurtez au traité de Guadalupe Hidalgo dont le texte est f ormel. Vous voilà done enserrés dans une argumentation dont je vous défie de sortir. Si votre interprétation est exacte, vous ne pouvez jamais demander autre chose que cette première partie du Fonds de Californie, la partie productive qui aurait été vendue pour être représentée par un capital à 6 pour cent; cette partie-là ce sont les 392,000 piastres que vous connaissez, dont il faut déduire le passif et spécialement les conséquences du procès de la Torres del Rada. Done à ce point de voe il ne resterait rien.
Il ne resterait alors que cette partie que vous qualifiez d’importante du Fonds de Californie, composée de ces prétendues créances chirographaires; mais pour celles-lâ jamais l’Etat n’a dit: j’en paierai 6 pour cent. Il n’eût pas pu le dire, c’eût été absurde.
Done, si vous avez un droit vous n’avez et ne pouvez avoir qu’un droit au capital, et ce droit au capital vous n’osez même pas le revendiquer parcequ’il se heurte à un prix de non recevoir absolu.
En ce qui concerne la composition du Fonds, on nous a dit aussi que l’on devait aujourd’hui prendre pour base les chiffres fournis par Sir Thornton, le sur-arbitre.
Je ne comprends pas le raisonnement: s’il n’y a pas chose jugée—et les adversaires ne peuvent discuter les chiffres que dans cett hypothèse—pourquoi prendre les chiffres de Sir Thornton? Il faut alors prendre les chiffres de votre mandataire, du mandataire de l’évâque, Don Ramirez, c’est ce qui doit servir de base, ou il faut la division que j’indiquais tout à l’heure.
Vous dites: Nous allons prendre les chiffres de Sir Thornton et nous allons ajouter 200,000 piastres comme étant le produit de la vente de Cienega del Pastor. Pourquoi? je vous le demande. Dans les chiffres de Don Ramirez que je vous ai cités j’ai compris le revenu de la Cienega del Pastor et je l’ai capitalisé, cela se trouve dans mon chiffre de 392,000 piastres; pourquoi ajouter encore?
Votre point de départ est faux; vous auriez dû, et c’est de bon sens, si vous vouliez réclamer le Fonds de Californie, prendre pour base l’inventaire que j’ai analysé.
Messieurs, puisque j’ai parié du décret du 24 octobre 1842 je vous signale combien la lecture des termes de ce décret est intéressante; l’exposé des motifs, ou plutôt le considérant qui fait partie de ce décret dit ce qui soit:
Considérant que le décret du 8 férier de la présente année, qui décide que l’administration et le soin du Ponds Pie de Californie seront rendus et continués au gouvernement comme cela était précédemment le cas, avait pour but de réaliser le plus fidèlement possible les objets de bienfaisance et nationaux désignés par les fondateurs, sans diminuer en quoi que ce soit les propriétés destinées à cette fin. …
Je demandais à mes honorables contradicteurs: à qui l’Etat a-t-il promis de payer 6 pour cent? L’on me répondait: a l’Eglise. Je disais: mais l’Eglise, il n’en est pas question dans ce décret. J’ajoute: le décret dit que ces 6 pour cent seront employés à des objets de bienfaisance et nationaux. Et se conçoit-il, messieurs qu’au jourd’hui une église étrangère puisse trouver dans ce décret son titre, alors qu’il y est dit que l’on emploiera ces 6 pour cent à des objets de bienfaisance et nationaux? Ce n’est pas à des objet religieux, c’est à des objets de [Page 835] bienfaisance et nationaux, ce qui est le contraire d’une Eglise étrangère, et à ce point de.vue encore le décret ne peut pas avoir la portée qu’on lui donna.
A une précédente audience, discutant la composition du Fonds Pie, je vous ai dit que lorsque le Roi d’Espagne s’était trouvé aux prises avec des difficultés financières résultant des velléités d’indépendance de la Nouvelle Espagne, lorsqu’il entre voy ait que ses territoires coloniaux et notamment la Californie allaient lui échapper, il avait pu recourir à un Fonds donné pour la conquête spirituelle et temporelle de la Californie.
Si plus tard le Gouvernement mexicain devenu indépendant redoutant l’influence étrangère, l’intervention du voisin, sentant que la Californie allait lui échapper, emploie le Fonds à la défense du territoire, pourra-t-on dire que le décret du 24 octobre 1842, qui destinait ces fonds à des objets de bienfaisance et nationaux interdisait au pouvoir souverain d’agir comme il l’a fait? Messieurs, est-ce possible?
Ce sont à certains moments des nécessités urgentes, des nécessités politiques qui ont pu déterminer un gouvernement à puiser, pour le bien de la nation, pour le bien de la Calif ornie qui était alors la nation, dans ce Fonds tie. Et qu’on nous montre done le décret qui donne une arme à un étranger pour dire: vous allez me rendre l’argent que vous avez employé pour empêcher la conquête!
Quant au décret de 1836, qui confie à l’evêque de Calif ornie l’administration du Fonds Pie, il n’est certes pas le titre des demandeurs? Il est rapporté par le décret du 8 février 1842, il n’existe plus.
J’entendais à l’audience de ce matin mon honorable contradicteur M. Ralston, nous dire qu’il fournissait certains documents relatifs à l’institution par la fondation d’un évêché au Mexique: mais ce document est sans importance s’il est antérieur à 1842, s’il a pour objet de régler une situation antérieure à 1842 en conformité du décret de 1836, parce que le décret du 8 février 1842 supprime et abolit l’effet du décret de 1836.
Le chevalier Descamps nous a dit: une loi n’a pas seulement un effet général, un effet politique, elle n’a pas pour objet de créer des obligations pour l’ensemble des citoyens, une loi peut créer une créance civile dans le chef d’un particulier.
Malgré l’autorité juridique de M. Descamps je dois avouer que cette déclaration est pour moi une révélation; je n’avais pas jusqu’ici conçu qu’une créance civile naquît d’une loi générale. Cela auraît peut-être justifié une démonstration, mais elle n’est pas venue. Le décret stipule au profit de l’évêque et de ses successeurs; quel est done ce bénificiaire? C’est l’évêque mexicain. Est-ce que ceux qui ont voté cette loi ont pu avoir en vue, comme je disais à une précédente audience, d’alimenter perpétuellement le budget public, c’est-à-dire le budget des cultes d’un Etat étranger? Non, ils n’ont pu stipuler qu’en faveur de l’Evêque mexican et de ses successeurs mexicains. Quand le Gouvernement mexicain confie à tel évêque une administration, c’est à la condition qu’il soit son délégué.
Mais conçoit-on q u’une loi nationale puisse avoir cet effet de créer une dette à charge de l’Etat au profit d’un fonctionnaire étranger?
Dans le même décret l’Etat s’engage à payer à, l’évêque un traitement annuel de 6,000 dollars. Diriez-vous aussi que c’est une créance civile!
En effet Messieurs c’est un engagement qui a été pris; et comment [Page 836] allez-vous donner une application différente au point de vue juridique à l’engagement de payer 6,000 dollars et à l’engagement de confier l’administration du Fonds Pie?
Messieurs, j’abuse de vos instants parce que, je vous l’ai dit, ce décret est intervenu en 1836, et il est devenu sans valeur parce qu’un autre lui a été substitué, celui du 8 février 1842, qui l’a aboli.
Il est impossible que vous disiez qu’il a pu entrer dans l’esprit du législateur de 1842 ou mêmede celui de 1836 de confier l’administration d’un revenu à quelqu’un pui n’aurait plus été sous la surveillance; il est contraire à toute notion de droit politique, de droit public, de droit civil, d’admettre qu’un Etat gratuitement, pour un service public, pour un but déterminé, donne à une personne l’administration, l’emploi d’un revenu, sans stipuler une réserve; cela serait sans exemple, et ce caractère exceptionnel ne pourrait pas se trouver dans la législation révolutionnaire de 1842.
M. Doyle, à la page 90 de son mémoire, a donné une définition des biens ecclésiastiques; il y a, dit-il, les biens qui servent directement à l’exoneration du culte, par exemple les lieutenants et les ornements nécessaires au service divin; ce sont des biens qui ne produisent pas de revenu et qui sont employés directement aux offices.
Il y a alors des biens qui produisent des revenus et qui servent à alimenter le primer service. Ce seront les terres, les vergers, qui seront loués pour alimenter les ministres du culte. Voilà ce qu’il dit.
Or, messieurs, est-ce que vous pourriez trouver dans un document de la cause un titre qui fasse rentrer les biens du Fonds de Californie dans cette seconde catégorie? Est-ce que jamais il est dit que ces biens seront employés à alimenter les ministres du culte? Où cela ce trouve-t-il?
Vous n’invoquez que le décret de 1842. Celui-là dit que le Gouvernement emploiera le revenu à des buts de bienfaisance et nationaux. Ce n’est pas l’entretien des ministres du culte, cela.
Done, messieurs, si vous prenez même la définition de M. Doyle vous devez reconnaître que les biens en question ne peuvent pas rentrer dans la catégorie des biens ecclésiastiques.
M. McEnerney nous a dit que les biens avaient été donnés aux Jésuites et que par conséquent ils devaient avoir été donnés pour le but qui dominait les Jésuites. Mais c’est là résoudre la question par la question. Il s’agit toujours de savoir si ces Jésuites n’étaient pas plutôt les délégués du Roi que du Pape et si leur œuvre n’était pas plutôt patriotique et de conquête qu’exclusivement religieuse.
On nous a dit que le Fonde Pie avait toujours eu une existence distincte, c’est à dire que lorsque le Roi d’Espagne en 1767 s’était approprié ces biens il n’avait pas immédiatement, comme l’a fait plus tard le president Santa Anna, incorporé ces biens au Trésor, qu’il avait toujours admis que ces biens devaient avoir une affectation spéciale de bienfaisance et de piété.
Oui, nous pouvons l’admettre; mais il faut l’admettre en tenant compte des faits, en voyant le caractère que le Roi a donné à son acte. Je vous ai cité des documents établissant que le Roi en avait toujours disposé sans contrôle et sans réserve, que le Roi avait toujours estimé—comme après lui le Gouvernement mexicain—qu’en ce qui concernait ces biens il en f aisait ce que lui dictait—suivant l’expression du Conseil des Indes son bon plaisir, son caprice. Il avait le droit d’en disposer, il n’avait de compte à rendre qu’à Dieu Seul!
[Page 837]Les Rois, de droit divin, estiment qu’ils sont—si vous perinettez l’expression—trustees, du trésor national et qu’ils ne doivent compte qu’à Dieu de l’emploi qu’ils en font. Comme je vous l’ai déjà dit, au point de vue du droit civil c’est la propriété absolue. Par conséquent, quand on dit que le Fonds Pie avait une destination distincte, je réponds: oui, mais avec ce caractère que l’ensemble des décrets lui a donné, c’est-à-dire le droit absolu du souverain d’en disposer.
D’ailleurs, à côté de ce caractère, il y a toujours une autre notion qui échappe à mes honorables contradicteurs. Ils devraient établir quel est celui qui a un droit en concurrence, en contradiction avec le droit du souverain. C’est ici qu’ils devraient établir le droit de l’Eglise pendant cette longue période; ils devraient établir que déjà sous l’administration des Jésuites, surtout après leur expulsion, l’Eglise aurait acquis un droit privatif de celui du souverain. Eh bien, c’est ce droit de concurrence avec le droit du souverain qu’ils n’ont jamais établi, et qui est d’ailleurs condamné par l’aveu de l’Eglise et par le jugement de l’Histoire. Jamais l’Eglise n’a prétendu, non pas seulement à un droit exclusif ou privatif de celui du souverain, mais même à un droit indivis, à un droit de surveillance, à un droit de contrôle. L’Etat a confisqué, l’Etat a disposé des biens, jamais l’Eglise n’a protesté!
Done, messieurs, j’ai le droit de dire à mes honorables contradicteurs: L’Eglise dit qu’elle est l’héritière des Jésuites, j’ai démontré qu’au moment où cette hérédité s’ouvrait elle devait en faire la pétition, et elle n’a rien dit pendant un siècle!
M. le chevalier Descamps a exposé que le démembrement de 1848 avait créé une question. Je lui ai répondu que le traité était chargé de résoudre les questions nées du démembrement et qu’il les avait résolues. Mais dans tous les cas, si même on pouvait prétendre que le traité de 1848 a laissé subsister un droit, il a dù laisser subsister un sujet de droit dont vous avez hérité. Ce sujet de droit quel est-il?
Sont-ce les Etats-Unis? Non, on ne le prétend pas. Les citoyens américains? Non, ils y renoncent, c’est dans le traité. Alors ce devrait être l’Eglise mexicaine subsistant sur le territoire étranger avec sa personnalité civile? Mais c’est impossible! Concevez-vous. L’Etat américain admettant sur son territoire une personne civile créée par un Etat étranger? Mais il n’en veut pas!
Précisément, messieurs, lorsque le Sénat de Washington a modifié le texte primitif de l’article 9 du traité, c’était pour qu’aucun doute ne subsistât à ce point de vue: il n’a pas voulu de droits à l’encontre des siens; ne veut d’autre personne civile sur le territoire américain que celles auxquelles le Gouvernement souverain américain aurait donné l’existence. Il n’y a done plus d’Eglise, ayant la personnalité civile.
Mais je suppose qu’il y ait encore une collectivité de fidèles, une collectivité de Chrétiens, une collectivité d’anciens mexicains qui vont devenir américains, qui ont des droits indéterminés, mais qui enfin ont encore des droits quelconques au Fonds de Californie. Vous dites que vous en êtes les successeurs? Je vous demande qui est-ce qui les représentait en 1848, car si vous avez une créance dont vous avez hérité il fallait un sujet de droit en 1848. Quel est-il? Si cette collectivité de chrétiens autrefois mexicaine aujourd’hui américaine existait, elle n’avait pas encore la personnalité civile; et qui la représentait? C’est la nation américaine, c’est le Gouvernement américain qui, comme je l’ai entendu maintes fois dire au cours de ces débats, représente toutes les collectivités.
[Page 838]A partir du traité, lorsque la nation américaine prend la Californie, les Californiens deviennent ses sujets; s’il y a une partie des sujets qui constituent une collectivité non encore dotée de la personnification civile mais enfin qui existe avec des droits embryonnaires, eh bien, c’est l’Etat qui les représente. Et l’Etat donne quittance! Comment des lors pouvez-vous vous dire les successeurs de ce personnage sujet de droit?
Monsieur, je me suis demandé: quelle aurait été la situation si les Jésuites n’avaient pas été expulsés? Deux hypothèses sont possibles: ils seraient restés dans la Basse Californie où ils étaient cantonnés, puisque toutes leurs Missions se trouvaient dans la Basse Californie. Inter vient le démembrement: est-ce que par hasard il y aura quel qu’un pui pourra dire au nom du Gouvernement américain ou au nom des évêques de la Haute Californie: vous me devez une part du Fonds? Mais non, les Jésuites en disposent comme ils l’entendent, comme ils veulent, ils ne sont pas expulsés, ils continuent à vivre. Le Gouvernement mexicain a succédé au Roi d’Espagne, le démembrement se produit, les Jésuites sont restés dans la Basse Californie, qui est-ce qui demandera une part du Fonds Pie au nom de la Haute Californie?
Seconde hypothèse: Je suppose, et ici voyez dans quel domaine des hypothèses je vais suivre mes honorables contradicteurs, je suppose que les Jésuites aient avancé et aient établi certaines missions dans la Haute Californie; est-ce que quelqu’un, le démembrement s’étant produit en 1848, pourra réclamer et dire aux Jésuites: vous allez me donner une part?
Mais absolument pas! D’abord les Jésuites auraient pu répondre: Il ne nous plaît pas de rester dans la libre Amérique, nous préférons le pays des Bois espagnol ou le Mexique, nous nous retirons dans la Basse Californie. Qu’est-ce qui aurait eu qualité pour le leur défendre?
Notez que le successeur des Jésuites dans l’hypothèse même des adversaires, existe: Il y a un évêque dans la Basse Californie. Par conséquent ce qu’auraient pu faire les Jésuites, leurs successeurs peuvent le faire.
Quel est le droit civil que l’on aurait pu exercer contre les Jésuites—qui ne devraient compte qu’ à Dieu—devant n’ importe quelle juridiction internationale? Il n’y en à pas.
De façon, messieurs, que même en raisonnant dans l’hypothèse la plus favorable à mes honorables contradicteurs, en supposant que le Roi ne se soit pas approprié les biens des Jésuites, l’action manquerait de base.
L’honorable M. Penfield n’a pas, je pense, bien saisi l’argument que j’avais déduit de cette circonstance que les Missions, telles qu’elles ont été conçues dans la première moitié du 18e siècle, ne pourraient plus exister en Amérique. Il nous a dit: aux Etats-Unis la liberté de conscience est absolue, il y a même des presbytériens, des mahométans, qui peuvent se livrer à la propagation de leur foi.
Sans doute, mais sur ce territoire—et il ne me contredira pas—personne ne pourrait opérer une œuvre qui serait une ceuvre de réduction comme l’étaient les Missions.
M. Descamps nous dit: C’est une question de forme … Pas tant que cela, mon honorable contradicteur; une question de forme quand il s’agit de la liberté de conscience? une question de forme quand il s’agit de convertir en subjuguant par les armes? Alors que les Missionnaires étaient assistés de troupes et qu’on ne concevait pas l’établissement [Page 839] religieux sans la caserne, des Missions de ce genre que l’on appelait alors des réductions seraient-elles possibles?
Un dernier point. L’honorable M. Penfield vous a parlé du paiement en or. Déjà M. le chevalier Descamps nous avait dit: la créance est portable, vous vous êtes engagés à me payer aux Etats-Unis, et comme ma monnaie est l’or, il faut me payer en or.
Je réponds: Vous avez dit vous même que votre titre se trouvait dans le décret de 1842. Ainsi done ce gouvernement révolutionnaire aurait pris non pas seulement l’engagement de payer 6 pour cent sur de mauvaises créances, sur des dettes dont l’Etat ne pay ait plus l’intérêt depuis longtemps, de payer 6 pour cent d’intérêt sur les intérêts, mais il aurait pris l’engagement de payer en or son tribut à l’étranger! … Non, messieurs, et je ne dois pas insister.
Mes honorables contradicteurs out ajouté: Il y a eu un retard dans le paiement et le retardataire ne peut bénéficier de ce retard; s’il avait payé l’échéance il aurait payé sans que le change eût les conséquences qu’il a aujourd’hui.
Mais, permettez, si j’avais l’obligation de payer, vous aviez l’obligation de demander, et vous n’avez pas demandé.
M. Descamps. Nous avons demandé.
M. Delackoix. Vous n’avez pas demandé; vous n’avez pas demandé en 1875 lors du règlément; il y a une correspondance que vous avez mai interprétée, M. Beernaert en parlera tout à, l’heure; vous n’avez demandé qu’en 1891, et par conséquent, si votre réponse consiste dans l’interruption que vous venez de me faire je vous réponds que pendant vingt ans vous n’avez pas réclamé.
Messieurs, un fait est certain. Nous avons recu en argent le produit des réalisations. Un autre fait est certain: c’est que l’étalon au Mexique est l’étalon d’argent. Je vous ai cité la législation sur ce point: l’Etat a le droit de payer ses dettes en argent sauf stipulation contraire, par ce que tous les Etats ont le droit de se libérer dans leur monnaie nationale. Alors comment pourrait-on justifier qu’ayant recu en argent nous dussions payer en or? Cela doit se trouver dans le titre; et ici encore je demande: est-ce que le décret de 1842, lorsqu’il a stipué que l’Etat paierait un intérêt de 6 pour cent—et vous en étiez les bénéficiaires, dites-vous—a dit qu’il paierait cet intérêt en or? Et s’il ne l’a pas dit, est-ce que implicitement il ne promettait pas de payer dans sa monnaie nationale?
S’il y a une dépréciation, cette dépréciation aurait pu se produire sur les immeubles, elle est inhérente à toute existence d’un fonds; et vous voudriez nous la faire supporter exclusivement?
On nous a dit que l’or était la monnaie des arbitrages et que les condemnations prononcées par un tribunal international devraient être exécutées en or.
Lorsqu’il s’agit d’un dommage dont le tribunal fixe la réparation il peut stipuler le paiement en or. Ce qu’il veut, c’est la réparation d’un dommage, pour lui ce dommage représente une somme de X, il peut la chiffrer comme il le veut, dans la monnaie qu’il choisit; mais quand ils’agit non pas de dommages-intérêts, comme je l’ai déjà dit, mais d’une créance, le Tribunal qui reconnaîtrait l’existence de la créance devrait incontestablement trouver dans le titre la justification d’une condamnation ou décision, si c’est payement en or. Ici le titre est un décret national mexicain; comment peut-on y puiser la justification de la prétention au paiement en or?
[Page 840]Sir Thornton n’a pas discuté la question, d’abord parce qu’à ce moment elle n’avait pas d’intérêt, et ensuite parce qu’elle ne lui a pas été posée … il y a tant de questions qui ne lui ont pas été posées! …Vous n’avez même pas demandé le paiement en or, cela n’a pas fait l’objet d’une discussion quelconque; etvous nevez aujourd’hui dire que c’est jugé parce que Sir Thornton a dit que l’on paierait en or mexicain, comme il aurait dit en argent parce qu’à ce moment c’était la même chose.
M. Penfield vous a dit que lorsque le Mexique avait éte condamné par la Commission mixte à payer une certaine somme en or du chef de réparations qui étaient la conséquence de deux procés, le Sénat de Washington avait décidé que les sommes payées seraient restituées parce que le jugement était le résultat d’une erreur; on a trouvé des documents postérieurs établissant que la Commission mixte s’était trompée: le Sénat a reconnu que la somme devait être restituée et elle l’a été dans la monnaie où elle avait été payée, c’est-a-dire en or.
Comment aujourd’hui peut-on argumenter de ce fait alors que la solution doit se trouver dans le titre de la créance?
Messieurs, j’ai terminé. Je suis rassuré sur l’issue de ce procès; pour que le Mexique succombât il faudrait, comme l’a fait le surarbitre Sir Thornton, et comme vous a demandé de le faire M. le chevalier Descamps, faire abstraction de ce qu’il a appelé “cette montagne de questions” que j’aurais agitées devant vous: il faudrait que vous supposiez que tous les actes de donation, s’il y a eu, exprimaient les mêmes intentions que l’acte de Villapuente; ce serait déjà bâtir sur hypothèse; il faudrait ensuite dire que lorsque dans ces actes les donateurs excluaient expressément l’autorité ecclésiastique ils avaient en vue de donner à l’Eglise; ce serait une interprétation assez nouvelle, et c’est cependant ce qu’on vous demande!
Vous devriez dire ensuite que lorsque le Roi d’Espagne s’est approprié les biens des Jésuites, cet acte souverain qui a reçu la consécration des siècles et de l’Eglise, qui a été respecté par celle-ci, devrait être considéré par vous comme non avenu; et vous devriez dire que malgré cet acte de confiscation ou d’appropriation du pouvoir souverain, alors que ces biens ont été pendant un siècle entre les mains du Roi, ils sont restés biens ecclésiastiques malgré la confiscation antérieure. Est-ce possible?
Vous devriez alors, messieurs, oublier que les Jésuites ne pouvaient pas acquérir pour leurs fins spirituelles, et que s’ils ont pu avoir des biens c’était necessairement comme délégués du Roi, en vue de l’œuvre qu’il désirait accomplir.
Vous devriez alors oublier cette série de décisions, de décrets, qui ont déterminé le jugement Nobile, ces décrets par lesquels le Roi affirme son pouvoir de disposer du Fonds Pie. Et surtout vous devriez oublier ce décret du Roi d’Espagne de 1820, que j’ai cité à une précédente audience et qui marquait l’incapacité de l’Eglise pour acquérir; ce qui montre que les décrets de 1836, 1842 en 1845 ne pouvaient pas avoir pour effet de conférer un droit à l’Eglise puisque la législation avait proelamé qu’elle était incapable de recevoir.
Vous devriez alors, messieurs, interpréter les décrets successifs que vous connaissez, comme, étant des contrats donnant naissance à des obligations civiles, alors que jamais personne sur le sol mexicain pas même l’Eglise mexicaine n’a formulé une telle prétention.
Vous devriez dire le décret du 24 octobre 1842 qui a pour objet [Page 841] de nationaliser les biens, de les incorporer au Trésor, avait pour but de créer une créance civile au profit de l’Eglise; vous devriez supposer que le Gouvernement avait décidé de vendre toutes les créances, même celles qui existaient à charge de lui-mêmes et de payer non seulement sur le capital de ces créances mais sur les intérêts des intérêts un intérêt perpétuel de 6 pour cent.
Voilà tout ce que vous devriez dire. Et ce n’est pas encore tout: vous devriez encore dire que le Gouvernement aurait décidé de racheter les mauvaises créances au pair avec les intérêts arriérés, et qu’il se serait engagé à payer perpétuellement 6 pour cent sur ces mauvaises créances. Vous devriez dire que les lois mexicaines sont applicables quand elles sont invoquées par nos honorables contradicteurs et qu’elles ne le sont pas quand elles sont invoquées par nous-mêmes.
Vous devriez dire que la prescription qui existe dans toutes les nations est un principe à rejeter de vos décisions et du droit international. Vous devriez dire que cette loi de nationalization des biens ecclésiastiques, qui devient d’ailleurs commune à beaucoup de législations, ne devrait pas recevoir son application. Tout cela, messieurs, répugne à la conscience du jurisconsuite.
J’ai fini. Je vous remercie de la bienveillance avec laquelle vous m’avez écouté, comme je dis à mes honorables contradicteurs: merei pour les rapports cordiaux, corrects et courtois dont vous nous avez honorés.
J’ai dit.
(La séance est suspendue jusqu’à 2½ heures.)